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Eve, ou la tentation fatale
Figures et concepts
Publié dans La Presse de Tunisie le 30 - 12 - 2011

Voilà une femme qui n'est comme aucune autre : elle n'a ni père, ni mère, ni frère, ni sœur... Elle n'a pas grandi dans les jupons d'une maman, ni joué sous l'œil bienveillant d'une grand-mère. Elle n'a pas attendu le retour d'un papa qui rentrerait de ses travaux pour s'asseoir sur ses genoux, ni connu d'amies pour partager des secrets. Et pour cause : elle n'a pas eu d'enfance ! Elle est née toute achevée, pour ainsi dire, comme la déesse Aphrodite, selon la légende, sortie toute armée de la cuisse de Zeus. Mais elle n'est pas une déesse : c'est une femme, de chair et d'os. Et elle n'est pas née d'une cuisse mais, si l'on en croit le texte de la Genèse, qui s'attarde sur ce détail, de la côte d'Adam, le premier homme. C'est d'ailleurs à ce titre que, dans ce même texte, elle est dite : chair de sa chair et os de ses os ! Les féministes, du moins de culture judéo-chrétienne, apprécient moyennement cet épisode. Il y a là en effet une représentation des choses qui est clairement en décalage avec le principe d'égalité entre homme et femme : « Pourquoi ce ne serait pas Adam qui serait issu d'une côte d'Eve ?», demanderaient-ils volontiers! Quel est le sens de cette précellence, de ce privilège, qui fait dépendre la naissance de la femme, non seulement du corps de l'homme, mais d'une partie modeste : une côte, une simple côte. Nul doute, ajouteraient-ils, que cela a servi à des générations de machistes à asseoir leurs préjugés en s'appuyant sur l'autorité des textes sacrés ? C'est vrai. Mais le même texte, en réalité, n'en vient à ces considérations physiologiques sur la naissance d'Eve qu'après avoir évoqué la création de l'homme, au sens générique, en tant qu'homme et femme : « Dieu créa l'homme à son image, il le créa à l'image de Dieu, il créa l'homme et la femme ». Ce qui signifie que, toute issue de la côte d'Adam qu'elle est, Eve n'en est pas moins créée « à l'image de Dieu», au même titre exactement qu'Adam. Que veut dire ce mot : « A l'image de Dieu » ? Le passage qui suit comporte un élément de réponse : «Dieu les bénit, et Dieu leur dit : Soyez féconds, multipliez, remplissez la terre, et l'assujettissez». Etre féconds et remplir la terre, cela, les animaux créés juste avant l'homme sont aussi censés le faire. Mais assujettir la terre, non! Or la terre que Eve et son compagnon sont appelés à « assujettir» est un jardin, le jardin d'Eden. S'il s'agit d'un jardin, assujettir ne saurait vouloir dire autre chose que prendre soin, cultiver, et non exploiter d'une façon qui reviendrait à saccager : car alors il n'y aurait plus de jardin. De fait, entretenir un jardin suppose bien qu'il y ait domination : l'homme, Adam et Eve réunis, n'est pas censé vivre sur terre à l'image des bêtes sauvages qui se nourrissent de ce qu'elles trouvent. Sa vocation est de planter et de domestiquer. A ce titre, il bénéficie d'un statut de roi de la création : non que par ce titre il pourrait prendre la place du Créateur, mais il a bien en un sens le rôle éminent d'un « co-créateur», qui fait de lui un être qui n'est pas Dieu mais qui est à son image ! Il s'agit donc pour Eve d'honorer son rôle de reine, et de bonne reine, aux côtés de son compagnon, dans le même sens où le bon jardinier est celui qui, tout en dominant les plantes qui se trouvent dans son jardin, veille à leur développement et à leur épanouissement.
D'autre part, si Eve vient de la côte d'Adam dans ce récit biblique, Adam, lui, vient de la terre ou de la poussière : la règle est donc celle d'une certaine humilité. On ne voit pas comment Adam pourrait se prévaloir de la supériorité de sa propre extraction...
L'arbre de la connaissance
Il reste que, en effet, le récit attribue un rang second à Eve : elle vient après et son existence est comme dérivée de celle de l'homme. D'ailleurs, c'est uniquement suite au constat divin que l'homme s'ennuie sur terre sans compagnie que le projet se fait jour de lui donner naissance à elle aussi. Il convient de signaler pourtant que la lecture du texte de la Genèse donne lieu à une sorte de changement de perspective entre le chapitre où il est question de la création de l'homme en général et celui où il est question de la naissance d'Eve en particulier. On passe en effet du projet global de création du monde à une optique qui est davantage celle de l'homme, celle d'Adam : sa situation existentielle, sa solitude en premier lieu face au reste des créatures. Ce qui veut dire que, en réalité, Eve a une double naissance, selon la perspective qu'on adopte : comme Adam elle vient de la poussière du point de vue du projet global et, du point de vue de ce qu'elle représente pour Adam, elle est celle qui est issue de sa côte : chair de sa chair, os de ses os ! Ce changement est voulu à cause de la suite, qui comporte des données d'une grande importance sur le destin de l'homme sur terre. Il fallait en effet dire que Eve est une partie du corps d'Adam pour pouvoir exprimer la condition fondamentale de l'homme qui consiste à découvrir que cette chair qui est sienne n'est plus en lui mais en dehors de lui et que, en ce sens, il en est dépourvu. Lui, cette créature d'entre toutes les autres qui est appelée à régner sur la terre, à assujettir tout ce qui s'y trouve, il fait l'épreuve d'une perte qui est celle de sa propre chair. Tout le péril pour lui est alors de déchoir de son rang et d'être lui-même assujetti par le désir de retrouver ce morceau de lui-même qui lui manque. Tout le danger est que, aveuglé par l'urgence de « recoller le morceau », il en oublie la charge qui lui incombe au sein de la création. Eve, en ce sens, fait signe vers ce lieu d'une chute possible pour l'homme... D'une chute, à vrai dire, dans un abîme sans fond, puisque l'opération de réappropriation du « morceau » est vouée à l'échec et que la seule chose que cette entreprise puisse faire, c'est de plonger l'homme dans un état de servitude toujours plus profonde à l'égard de son désir. N'est-elle pas, Eve, celle qui offre à Adam le fruit cueilli de l'arbre dont Dieu avait dit : «Tu pourras manger de tous les arbres du jardin, mais tu ne mangeras pas de l'arbre de la connaissance du bien et du mal, car le jour où tu en mangeras, tu mourras. » Dans le récit biblique, c'est suite à cet acte – le « péché originel » — qu'Adam et Eve sont chassés du paradis et livrés à un monde où règne la violence : violence contre la nature pour lui arracher ses fruits par le travail pénible et violence entre les hommes, car la convoitise est désormais présente dans leurs pensées...
Confiance vs désobéissance
C'est du beau travail, est-on tenté de dire! Comme Pandore dans le mythe grec, qui ne peut pas s'empêcher d'ouvrir sa boîte, dont s'échappent tous les maux, Eve ne parvient pas à se défier du serpent qui lui susurre à l'oreille de ne pas tenir compte de l'interdiction divine : «La femme vit que l'arbre était bon à manger et agréable à la vue, et qu'il était précieux pour ouvrir l'intelligence; elle prit de son fruit, et en mangea; elle en donna aussi à son mari, qui était auprès d'elle, et il en mangea. » Le résultat est donc que le couple est chassé du paradis et, aussi, qu'il est livré à la perspective de la mort : «le jour où tu en mangeras, tu mourras» !
Mais, encore une fois, Eve désigne ici le lieu d'une expérience pour l'homme. Il s'agit certes d'une expérience de perte de soi, dans le double sens qu'a ce mot de « perte » : la perte d'une partie ou d'un morceau de soi et la perte de son statut, la déchéance. En quoi cependant le fait de goûter de l'arbre de la connaissance du bien et du mal peut-il être synonyme de déchéance ? Y a-t-il une connaissance qui, au lieu d'élever l'esprit, l'abaisse ? Et si la connaissance en question est celle du bien et du mal, le paradoxe n'est-il pas plus grand encore ? L'explication est la suivante : pour avoir une connaissance du bien et du mal, donc de leur différence, il faut avoir goûté au mal. Sans cette connaissance pratique, pas de possibilité de développer une intelligence de la nature spécifique du bien et de la nature spécifique du mal. Or cette connaissance dépend d'un arbre dont Dieu a interdit de manger du fruit : le faire, c'est désobéir, c'est rompre le lien ténu d'amour et d'allégeance à Dieu, c'est rejoindre d'un coup un espace qui est celui de l'éloignement de Dieu : l'espace du mal. L'arbre de la connaissance du bien et du mal, autrement dit, n'est tel que parce que Dieu a interdit d'en manger le fruit : manger quand même, c'est désobéir, c'est donc faire l'expérience du mal et, par conséquent, acquérir la connaissance de la différence qui existe entre le bien et le mal... Voilà donc ce qu'Adam est tenté de faire et Eve ne l'en empêche pas, au contraire: c'est elle qui le pousse dans cette tentation, dans cette tentative !
La mère d'Abel
Eve est donc présente de deux façons dans l'expérience de la déchéance de l'homme : d'abord en tant que lieu d'un manque vécu dans sa propre chair qui le livre à la loi du désir et, ensuite, en tant que lieu d'une tentation qui consiste à faire le choix d'un acte qui consacre la rupture avec la confiance qui existe auparavant avec Dieu. En fait, offrir à l'homme le fruit de l'arbre de la connaissance du bien et du mal n'est pas autre chose que le fait d'inciter Adam à s'installer avec elle dans un ordre de relation qui entérine l'oubli de la mission reçue par Dieu... On peut penser ici que toutes les traditions orientales qui consistent à voiler le corps et en particulier le visage de la femme trouvent leur écho dans cette représentation de la femme comme tentatrice de l'homme, incarnée ici par Eve.
Mais il faut préciser rapidement une chose: dans la connaissance du bien et du mal, il y a aussi la connaissance du bien. Nous l'avons dit: sans l'expérience du mal, pas de possibilité de connaître la nature du bien, en tant qu'il est désormais un effort d'arrachement au mal, une lutte contre l'ordre de l'éloignement de Dieu. Et connaître vraiment le bien, c'est nécessairement le vouloir, et donc vouloir s'extirper du mal dans lequel on tombe.
Si Eve est la tentatrice, est-elle aussi la réparatrice, celle qui prend les devants pour pousser Adam, cette fois dans l'autre sens, à reconquérir son statut de roi de la terre et d'être reine à ses côtés ? Rien ne l'empêche. Comme rien n'empêche qu'elle persiste dans son geste tentateur qui installe l'homme dans la déchéance... Eve donna naissance, après sa sortie du paradis, à Caïn et à Abel: quel est, de ces deux enfants, celui dont la conduite avait ses faveurs ? Si c'est Abel, il faut croire que la vocation réparatrice était déjà à l'œuvre dans son âme et que sa propre nostalgie d'être à l'image de Dieu l'a gagnée. Le texte ne précise pas ce point, mais une chose est sûre : sans l'expérience de la tentation, sans Eve qui y a joué un rôle majeur, il n'y aurait pas pour l'homme en général la possibilité d'engager, dans les affres de la violence et de la souffrance, le combat qui consiste à aller à la reconquête de sa propre royauté... Il n'y aurait pas pour l'homme la possibilité d'être humain !


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