Par Khedija EL MADANI * Dimanche 27 février 2011, en regardant la chaîne de télévision nationale, je suis tombée par hasard sur la conférence de presse au cours de laquelle Monsieur Mohamed Ghannouchi a annoncé sa démission. D'une façon extrêmement digne, il a expliqué au peuple tunisien que, après l'appel au meurtre formulé contre lui en direct, sur la même chaîne nationale, par un jeune Tunisien qui lui imputait la responsabilité des violences et des morts survenus la veille et devant le complot ourdi par certaines parties contre la révolution, il lui semblait que partir servirait mieux la patrie que de continuer à assumer ses fonctions de chef du gouvernement. Il va sans dire que le départ de Monsieur Ghannouchi, à ce stade précis, suscite de grandes inquiétudes non seulement pour l'avenir de la révolution mais aussi pour l'avenir du pays. Ce qu'a dit Monsieur Mohamed Ghannouchi concernant l'existence de forces agissant dans le sens contraire de la révolution, pour créer et installer le chaos et déstabiliser toutes les institutions du pays n'a fait que conforter en moi la pénible impression que trop de choses sont bizarres et renforcer le sentiment confus d'être flouée, la conviction d'être, quelque part, le dindon d'une farce concoctée par des gens de l'ombre contre nos aspirations au développement, à la liberté et à la démocratie. Je ne suis certainement pas la seule à être habitée par une sensation de malaise due, en grande partie, à l'opacité régnante, notamment dans les médias. En effet, il ne fait pas de doute que la préoccupation première de nos chaînes télé, nationale et privées, a été de faire monter la surenchère en n'invitant, généralement, sur leurs plateaux, que des personnes dont le discours était connu d'avance et le ton largement prévisible. Tantôt, nous assistons, médusés, à des discours virulents contre le régime de Ben Ali et à des envolées lyriques sur la révolution émanant de personnes connues pour leur soutien sans faille à Ben Ali et à son système, soudainement reconverties en maîtres révolutionnaires, tantôt nous écoutons des apparatchiks du RCD donner libre cours à leurs états d'âme en prime-time. En tous cas le ton général, toutes chaînes confondues, est de pousser au crime et de ne faire entendre qu'un son de cloche particulier. Mais là où la réalité a dépassé la fiction c'est l'inertie totale de toutes nos chaînes de télévision par rapport à l'annonce de Monsieur Ghannouchi de se démettre de ses fonctions de Premier ministre. Pouvait-on imaginer que, une fois retransmis le discours du Premier ministre, la chaîne nationale reprendrait tranquillement le cours de ses émissions et nous infligerait une rediffusion de la rencontre tenue entre le ministre de l'Emploi et de jeunes chômeurs, sans plus se soucier de l'impact que ne manquera pas d'avoir sur le pays le départ de M. Ghannouchi? Voulant en avoir le cœur net, j'ai zappé sur Hannibal. Là non plus la chaîne ne faisait aucun cas de la démission annoncée puisqu'on y passait une émission enfantine plutôt infantile, du reste. Quant à Nesma TV, elle continuait en toute quiétude à transmettre un débat sur le sport. Par contre, dans le même temps, la chaîne Al Djazira était en train d'interviewer le Premier ministre démissionnaire, interview immédiatement relayée par les analyses de deux journalistes sur le sujet. De plus, la chaîne qatarie à rappelé l'information toutes les heures, de même que les chaînes européennes comme BFM et France 24. Vous avouerez là, qu'en y mettant du sien et avec la meilleure volonté du monde, on ne peut pas croire que le silence de nos chaînes télé soit imputé à leur seul non - professionnalisme. Non, trop, c'est trop. C'est tout simplement un flagrant délit de déni d'information. Pas de présomption d'innocence qui tienne. Vous ne m'enlèverez pas de la tête que nos chaînes télé ont délibérément et sciemment ignoré un fait de la plus haute importance sur le présent et sur le devenir de la Tunisie, à savoir le départ du Premier ministre et ne l'ont abordé qu'après plusieurs heures, en début du soirée. Alors que dire sinon: que Dieu nous préserve et préserve notre pays de ceux qui manipulent nos chaînes télé et de ceux qui tirent les ficelles dans l'ombre et que nos journalistes apprennent à assumer leurs responsabilités et à jouer leur rôle de manière objective et professionnelle. * Avocate à la Cour de cassation