Le livre est sorti en 2004. Critiqué, discuté et analysé dans presque tous les pays européens, le voilà, miracle de la révolution, sur nos étalages se vendant comme des petits pains. On est même en rupture de stock et comme le dit bien le libraire et l'animateur de l'espace littéraire Art-Libris, Raouf Dakhaloui, «ce livre est un best seller!». Pourtant, L'Europe et ses despotes est un bouquin qui a été férocement combattu au même titre que ses auteurs, Sihem Bensedrine et Omar Mestiri, pour qui un grand nombre de personnes ont fait le déplacement pour saluer leur courage et leur persévérance. On se bousculait dans la petite mezzanine d'Art Libris et même sur les marches des escaliers pour écouter la parole de ces deux militants de la liberté et de la dignité. Pour parler de la genèse du livre et des conditions de son écriture, Bensedrine explique : «A un certain moment, le pouvoir de Ben Ali s'est acharné sur nous et j'ai fini par être emprisonnée. A la sortie de prison, on obtient une bourse de résidence et d'écriture, ce qui nous permet de porter notre vue à travers plusieurs pays d'Europe, et ce, durant toute une année. C'est ainsi qu'on a découvert que le citoyen européen ne connaissait pas la Tunisie, que les dirigeants de l'Europe étaient complices parce qu'ils pensaient que nous n'étions pas assez "bien" pour avoir notre liberté et que s'ils ne soutenaient pas ces despotes, on aurait pu s'en sortir bien avant". «Ce livre, on le voulait provocateur dépassant la simple analyse d'une situation et la description des faits", ajoute Omar Mestiri. Et pour répondre à certaines critiques qui les disaient «colporteurs de pas mal de rumeurs», il répond qu'avant de passer à l'écriture, "en bons journalistes, nous avons réuni plusieurs documents et témoignages. Il fallait bien un dossier en béton pour combattre ce système et certainement pas des rumeurs et des faits non vérifiés». Et de poursuivre: "Mais depuis la sortie de ce livre, je n'ai plus écrit. Je me disais : j'écrivais quand personne n'écrivait, maintenant tout le monde fait… Mais en réfléchissant sur cet état d'âme, je découvre que je fais en réalité, la grève de l'écriture, puisque je vois les mêmes têtes de l'ancien régime se pavaner sur les plateaux de télé et les mêmes journalistes signer encore les éditos des journaux…» Quant à Sihem Bensedrine, qui était très émue durant la séance de présentation du livre, elle a dit : «Ben Ali n'a pas eu raison de nous et n'a pas eu raison de ce livre, lui qui a tout fait pour l'interdire et pour faire de l'édition un désert des invendus, malgré tout cela le livre est là, à la portée de tous». De longues années de courage et de militantisme, une traversée du désert qui aurait pu ravager les plus soudés des couples et les plus unies des familles. Ce couple a fait son choix et son entourage a payé avec lui la facture de cet engagement. Un bel exemple de deux êtres dont le seul crime fut d'avoir voulu défendre la liberté et l'indépendance.