Dans leur nouveau livre, L'Europe et ses despotes, écrit, comme une "partition à quatre mains", et qui vient de paraître, la journaliste Sihem Bensedrine et Omar Mestiri donnent tout de suite le ton, en commençant par un préjugé " tenace " que partageaient et que partagent encore de nombreuses élites occidentales : les Arabes ne sont pas faits pour la démocratie. Ces dernières ont abouti à cette conclusion sur la base de plusieurs hypothèses. La première : les spécificités culturelles des Arabes ne les préparent pas à une démocratie et leur éveil tardif aux valeurs universelles des droits de l'Homme font qu'ils sont les derniers à rejoindre le "peloton des nations civilisées". En s'interrogeant sur le rapport de la démocratie avec les nations arabes, d'autres ont préféré étudier la question sous un angle différent : est-ce que la démocratie dans les pays arabes pourrait menacer celle des pays occidentaux ? A fortiori oui, soulignent les auteurs, qui exposent" dans leur introduction, la position des Occidentaux, selon lesquels les populations arabes libres peuvent se montrer hostiles envers les représentants patentés de la démocratie et qu'il est, par conséquent, préférable, de ce fait , de les maintenir sous le joug des dictateurs tyrans. Les dictateurs ont, alors, d'emblée assis leur pouvoir sur ce prétexte, rassurant et assurant aux nations occidentales un rempart contre l'insécurité ; cette menace qui a toujours fait trembler les contrées du nord du bassin méditerranéen. Autant les pays occidentaux se sont toujours montrés très attachés aux valeurs de la démocratie et des droits de l'Homme, autant ils ont fermé les yeux sur les abus et les violations des droits de l'Homme qui se commettaient et qui se commettent aujourd'hui, apportant leur soutien tacite à des régimes autoritaires, en contrepartie d'un rempart contre le "terrorisme" et l'insécurité. C'est cette position " criminelle ", hypocrite et ambivalente qu'ont voulu dénoncer les auteurs de ce livre, illustrant leur argument de plusieurs exemples. Sihem Bensedrine et Omar Mestiri pointent, ainsi, du doigt la politique hypocrite des Etats-Unis dans la région du Maghreb et du Moyen-Orient, qui se sont montrés, sous l'administration Bush, un bien mauvais ambassadeur du respect des droits de l'Homme, par leur soutien constant à la politique d'occupation d'Israel et par leur intervention catastrophique en Irak, qui s'est soldée par des centaines de milliers de morts. Le premier acte du plan de "démocratisation" du "Grand Moyen-Orient", l'occupation de l'Irak, marquée par la violence et les exactions des soldats américains contre les prisonniers d'Abou Ghraib, a confirmé aux yeux de l'opinion arabe que les Etats-Unis ne pouvaient être un avocat crédible de la cause de la liberté" . Et les auteurs d'ajouter que loin d'être loyale et fidèle aux valeurs de la liberté, de la démocratie et du respect des droits de l'Homme, la perception américaine de la démocratie dans les pays arabes est dictée avant tout par les intérêts personnels des Etats-Unis dans la région. "Face aux Etats-Unis, l'affaire est entendue. Nous pouvons, et nous devons, continuer à dénoncer leur politique. Mais nous savons aussi que l'immense majorité de ceux qui, dans tous les pays (y compris aux Etats-Unis), sont authentiquement attachés aux valeurs de la liberté, n'ont plus aucune illusion sur le fait que les vertueuses professions de foi démocratiques du gouvernement américain, qu'il soit républicain ou démocrate, ne sont plus que des haillons : elles cachent à peine une volonté de puissance qui se moque comme d'une guigne de la liberté des peuples du "reste du monde", dès lors que les règles de fer du business as usual y sont assurées", soulignent les auteurs. L'Union européenne n'est pas en reste. Cette dernière a tissé ses relations avec les régions du Maghreb sur la base d'une politique à double visage, calquant sa position sur celle des Etats-Unis. "En pratique, nous allons le montrer, l'Europe apporte un soutien constant, politique et économique, aux despotes du Sud, au détriment des peuples soumis à ces dictatures, souvent dissimulées derrière des ‘‘démocraties de façade'', plus ou moins aussi méprisables que celle de la politique américaine", affirment Sihem Bensedrine et Omar Mestiri. Au fil du livre, les auteurs révèlent au grand jour les raisons qui ont été derrière l' attitude condescendante de l'Europe et des Etats-Unis à l'égard des despotes arabes. A lire.