Par Aboubaker Maghraoui * Dans quatre mois, les Tunisiens seront appelés, pour la première fois de manière démocratique, aux urnes. Cette première échéance électorale sera pour eux l'occasion d'enterrer et de reléguer au passé le spectre de l'autoritarisme. Néanmoins, il ne faut pas que ce rendez-vous de l'Histoire se transforme en boîte de Pandore. La démocratie ne doit pas ouvrir de brèche au fondamentalisme religieux. La maturité politique et démocratique doit aller de pair avec le développement de la société civile car elle demeure le meilleur rempart contre l'intégrisme. Pour autant, je pense qu'il faut commencer par discerner les différences existant entre certains partis dont les représentants politiques se réclament de la Constitution, de l'acquis des droits sociaux et du respect des droits des femmes, d'une part, et les supporters de ces mouvements qui s'inscrivent dans une mouvance belliqueuse islamique dangereuse pour notre démocratie et pour nos valeurs séculières, d'autre part. Il est vrai que la frontière est difficile à tracer entre ces mouvements politiques et leurs partisans, dont certains, trop nombreux hélas, se réclament d'une idéologie obscurantiste et rétrograde. Et c'est là que le véritable danger réside. Nous ne souhaitons pas aujourd'hui accorder de crédit à ces mouvements politiques car nous n'arrivons pas à identifier leur position officielle. Les déclarations de leurs leaders sont timides et l'image qui nous est renvoyée peut parfois être synonyme de violence et être perçue comme une menace à nos acquis civiques et démocratiques. Dès lors, on peut aisément percevoir le dilemme républicain qui se présente à nous : a-t-on le droit, dans une démocratie naissante, d'exclure un parti politique sous prétexte que ses partisans sont animés par un fondamentalisme religieux et rétrograde ou en renvoient l'image, alors même que ce parti prétend le contraire ? Les principes républicains et démocratiques nous obligent à inclure une telle mouvance dans l'échiquier politique et pourtant, comment faire en sorte que le respect des règles démocratiques ne se retourne pas contre nous ? Comment être sûr que les partisans d'un parti où le religieux jouxte le politique respectent à leur tour le modèle républicain et les principes démocratiques qui leur permettront demain de figurer dans le débat politique ? On ne peut pas tergiverser avec nos acquis démocratiques et empêcher un parti qui respecte la loi de figurer dans le jeu politique. Toutefois, nous avons le droit et c'est même un devoir d'être toujours aux aguets et de veiller à ce que ce parti ne s'éloigne jamais de la loi, ni de la Constitution. Nous devons veiller à ce que la rhétorique utilisée ne soit jamais synonyme de haine, ni rétrograde envers la femme tunisienne, fierté de notre révolution. Personne n'a le droit d'user d'une quelconque forme de démagogie populiste ou religieuse. Sinon, il est de notre devoir de les en empêcher. La manière la plus solide de lutter contre l'obscurantisme est de le combattre sur son propre terrain. Ce genre de courant est dangereux de par son organisation. Il s'agit très souvent de mouvements parfaitement organisés et proches de la population civile. C'est à nous de ne pas leur laisser cette place dans la société de demain. Il est de notre devoir de nous battre pour que toutes les tranches de la société et toutes ses composantes aient le droit de s'associer pour pouvoir à leur tour être proches de la population et porter de manière organisée et légale leur message et leurs propos auprès des citoyens tunisiens. Mobilisons-nous pour garantir dans notre prochaine Constitution le droit de s'associer de manière libre afin que les femmes, les hommes, les étudiantes et les étudiants, les avocats, les médecins, les artistes ou toute personne souhaitant s'organiser et s'associer puissent le faire. Une société civile organisée agit comme un contre-pouvoir fort. Des associations luttant contre l'appel à la haine à caractère racial ou religieux seront un premier rempart contre les discours populistes alors que des associations pour la protection des droits de la femme seront les meilleurs défenseurs du Code du statut personnel contre le double langage de quelques partis s'il devait avoir lieu, ainsi que contre les diatribes obscurantistes de certains de leurs partisans. Cette société civile, solidement constituée et qui jouirait de la liberté complète d'association, pourra alors entamer un combat nécessaire contre l'obscurantisme et aura pour alliés une presse enfin libérée et une justice indépendante. Nul n'est au-dessus de la loi. Les associations civiles devraient être là pour le rappeler et saisir la justice pour condamner ceux (partis ou individus) qui tenteraient de s'en éloigner. C'est donc toutes les composantes de la société civile, à savoir la presse, la justice, les écrivains, les artistes et les associations représentant les idées et idéaux de l'ensemble des citoyens tunisiens, qui doivent fonctionner ensemble pour barrer la route à l'obscurantisme rétrograde religieux, et ce, quelle que soit la forme qu'il prendrait (presse, conférences, partis politiques, individus). Ce n'est que de cette manière que nous pourrons nous vanter d'avoir vaincu l'obscurantisme et l'islamisme sans troquer nos principes républicains et démocratiques que les citoyens tunisiens ont chèrement acquis au prix de leur sang.