Par Mourad ABDELLAH * La Révolution tunisienne est entrée dans une étape décisive et historique, celle de l'élection d'une Assemblée constituante qui aura pour mission de doter le pays d'une nouvelle Constitution, qui va tracer l'avenir de la Tunisie et de ses enfants. C'est dire la lourde responsabilité qui incombera à la prochaine assemblée dans cette étape cruciale et déterminante. Or, cette nouvelle Constitution dépendra, dans son contenu et ses orientations, de la composition de l'Assemblée constituante dont on ne sait pas de quelle couleur politique elle sera faite. Cette incertitude est d'autant plus importante que nous assistons à un foisonnement de partis politiques qui approche la quarantaine, d'une part et d'autre part, nous n'avons pas d'études d'opinions fiables qui permettent d'avoir une idée plus ou moins précise sur la répartition chiffrée des tendances politiques et les sensibilités qui traversent la population. Et l'on ne sait pas de quel côté penchera la majorité des députés, pour les idées de progrès, de liberté et de démocratie, ou bien du côté de la démagogie, de la régression sociale et politique voire de l'obscurantisme. Par ailleurs, l'ancien régime a tout fait pour frapper les forces démocratiques et favoriser les forces rétrogrades, grâce notamment à une politique démagogique de l'identité arabo-musulmane, utilisée comme paravent, qui s'est traduite par une arabisation à outrance, au niveau de l'administration, de l'espace public et de l'enseignement, qui a entraîné un appauvrissement et un abaissement quasi criminel, à un niveau médiocre de l'enseignement et de la culture; et un islamisme mené tambour battant, malgré un masque fallacieux anti-intégriste, juste fait pour la consommation à l'étranger, par la construction effrénée des mosquées, aux dépens des hôpitaux, des routes, des écoles et même du patrimoine archéologique du site de Carthage, et des chaînes de radio à connotation religieuse qui divulguent à longueur de journée des discours moyennageux et obscurantistes. Tout cela, dans le but d'isoler et d'éloigner la Tunisie de son ancrage dans le progrès. C'est pour cela, qu'après 23 ans de dictature policière, les forces démocratiques sont affaiblies, alors que les forces rétrogrades et réactionnaires ont été nettement renforcées. Mais la Révolution tunisienne est venue renverser et démentir toutes les données destinées à museler le peuple tunisien, qui a su dans un sursaut de vie et d'espoir, prendre date avec l'Histoire. Mais, cette révolution a ceci de particulier et de génial, c'est qu'elle ne doit rien à personne et à aucun parti ou syndicat. Elle a été faite par le peuple, d'une manière spontanée, libre et volontaire. C'est pourquoi, elle est et elle restera indépendante et profondément démocratique. Et l'on ne peut que s'étonner des velléités hégémoniques de l'Ugtt sur la révolution tunisienne par des prises de position maximalistes et qui dépassent son statut de syndicat, pour prendre abusivement l'allure d'un parti politique dominateur à l'image du défunt RCD. Il faut d'ailleurs rappeler que l'Ugtt a observé un silence pour le moins suspect, doublé d'un soutien indéfectible à la dictature policière et mafieuse du président déchu, et a été gratifiée en retour de la part de l'ancien régime par l'octroi du statut de syndicat unique d'une part, et d'autre part, d'une mainmise totale sur les travailleurs et d'une manne financière sans précédent, qui consiste à puiser les cotisations des agents de l'Etat directement à la source soit dans leurs salaires au même titre que les impôts ! Il va sans dire que cet abus inqualifiable doit prendre fin, et les cotisations doivent être payées sur la base d'un choix libre, pluraliste et volontaire des fonctionnaires et non sous la contrainte et l'arbitraire. La Révolution tunisienne ouvre une nouvelle page de l'histoire de la Tunisie en vue d'instaurer une société basée sur la démocratie, les libertés, les droits de l'Homme et la justice sociale. Cette Révolution ne peut réussir que si elle s'inscrit résolument dans un projet tourné vers le progrès et l'émancipation sociale, et que des réformes audacieuses et ambitieuses sont menées, permettant la mise en place d'un Etat démocratique et moderne, au service du peuple tunisien et de tous les citoyens sans distinction de leurs opinions politiques et religieuses. Il faut pour cela assurer : — La séparation de l'Etat et des partis politiques des organisations syndicales, associations et groupes de pression quels qu'ils soient. L'Etat doit être impartial et fonctionner sur la base du droit et bannir toute forme de favoritisme. Les nominations doivent être faites sur le seul critère du mérite et de la compétence et des qualités humaines et professionnelles. — La séparation de l'Etat et de la religion. La laïcité est une valeur républicaine fondamentale et un pilier essentiel de la démocratie. Elle consacre la liberté de conscience du citoyen. La religion doit rester une affaire personnelle. L'Etat appartient à tous les citoyens sans distinction de leurs appartenances ou opinions religieuses. C'est pour cela que l'article 1 de l'ancienne Constitution ne doit pas figurer dans la nouvelle Constitution. Cet article qui stipule que l'Islam est la religion de l'Etat et l'arabe comme langue est antidémocratique et ouvre la porte à l'exclusion et à la haine raciale. C'est pourquoi, la laïcité doit être inscrite comme valeur fondamentale de la République dans la nouvelle Constitution ainsi que le principe de l'égalité entre l'homme et la femme. Quant aux droits de la femme, ils doivent demeurer tels qu'énoncés dans le Code du statut personnel et de nouveaux droits devraient être acquis comme l'égalité dans l'héritage et la parité dans les assemblées électives comme l'Assemblée nationale et les conseils municipaux. — L'abolition de la torture dans les locaux de la police et les prisons, ainsi que les peines et sanctions portant atteinte physique à la personne humaine, y compris l'abolition de la peine de mort, qui permettra à la Tunisie de rejoindre les rangs des Etats démocratiques avancés et civilisés. La nouvelle Constitution doit porter les valeurs fondamentales républicaines que sont la laïcité, la liberté, la démocratie, le respect de la dignité et de la personne humaine et doivent être protégées comme valeurs irréversibles et fondatrices de la nouvelle République, et que nul, fût-il un homme providentiel, un prétendu «sauveur» ou un illuminé ne peut remettre en cause. C'est pourquoi, il nous faut de l'audace, comme a dit Danton: «De l'audace, encore de l'audace, toujours de l'audace !» pour que la Révolution puisse réussir. Oui, il nous faut de l'audace pour protéger cette révolution, la rendre invulnérable et devenir un véritable phare pour tous les peuples opprimés, qui décident de devenir libres et responsables. * (Médecin)