Au bout de 23 ans, la captation du pouvoir par une kleptocratie autoritaire — ce n'est qu'un euphémisme — n'est pas arrivée à bout d'un peuple qui a plié certes, mais n'a jamais rompu. Trois mois après le déclenchement de la révolution glorieuse d'une jeunesse tunisienne courageuse et éclairée, symbolisée par l'immolation du martyr Mohamed Bouazizi, qu'en est-il advenu de ce mouvement populaire‑? Un nouveau chef de gouvernement, Béji Caïd Essebsi, un homme d'expérience qui nous rappelle le grand Bourguiba du début. Par un discours politique simple et vrai, il a remis la révolution dans la bonne direction, répondant ainsi aux aspirations des manifestants de la Kasbah et de ceux de la coupole d'El Menzah. Pendant cette période trouble, nous avons assisté à l'éclosion de moralistes et de donneurs de leçons de probité, qui, à l'époque de la dictature, étaient des escrocs notoires ou des suppôts de l'ancien régime. Plus révolutionnaire que moi, tu meurs. Révolutionnaires de la 25e heure, demandez pardon à vos concitoyens spoliés, ayez de la pudeur et évitez de réciter dans les gazettes des litanies éculées. Opportunistes nauséabonds, taisez-vous. Je veux m'adresser aux femmes tunisiennes, pour leur témoigner mon admiration et mon respect pour leur courage et leur combat pour l'égalité intégrale et défendre bec et ongles les acquis du Code du statut personnel. La démocratie ne sera réalité que si la femme est libre. Un nombre conséquent de femmes au prochain gouvernement serait un signe très significatif et encourageant. Maintenant le plus dur reste à faire. Il faut doter le pays d'une nouvelle Constitution, d'un nouveau Code électoral, de nouvelles institutions indépendantes qui contrôlent le pouvoir exécutif afin d'éviter les dérapages. Ces conditions sont impératives pour reconstruire une Tunisie nouvelle ouverte sur le monde dont le seul souci est le bien-être du peuple, le développement économique, la justice sociale, la résorption du chômage endémique des jeunes, qu'ils soient diplômés ou non, la consolidation de l'apprentissage et de la formation en alternance, etc. Toutes les forces vives de la nation doivent tirer dans le même sens et éviter que nos enfants ne finissent noyés dans cette belle Méditerranée, berceau des civilisations. Mais pour réaliser ces ambitions, quel système politique adopter‑? Le régime présidentiel, me semble-t-il, a vécu. Confier tous les pouvoirs à un seul homme. On a déjà essayé‑! Personnellement, j'opterais pour un régime parlementaire et un système électoral qui donnerait des majorités de gouvernement stables. La proportionnelle intégrale risque de déboucher sur une chambre ingouvernable. Le génie tunisien est capable de trouver une solution mixte avec un système majoritaire et une dose de proportionnelle, tout en veillant à ce que les femmes et les régions n'en soient pas exclues, quitte à l'inscrire dans la loi électorale. Evidemment, les premiers temps, «il faut essuyer les plâtres», mais je n'ai aucune crainte, le peuple tunisien est intelligent et acquerra rapidement une culture politique tournée vers la démocratie et le pluralisme. Mais tant de partis, est-ce raisonnable‑? 23 ans de sevrage de liberté d'expression laissent des traces, je reste convaincu qu'il y aura consensus sur l'essentiel. La politique est l'affaire de tous. Un diplôme universitaire n'est pas suffisant pour faire un bon politique, bien sûr il y a ceux qui composent et ceux qui exposent. Les acquis de l'expérience sont aussi valables que les masters, et comme on le sait, il faut de tout pour faire un monde.