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Le coup d'éclat rhétorique de Béji Caïd Essebsi
opinions
Publié dans La Presse de Tunisie le 06 - 03 - 2011

Voici donc un nouveau Premier ministre au gouvernement tunisien provisoire (3e version) qui réussit déjà, avec brio, comme rarement un autre, la toute première épreuve, incontournable et pour beaucoup décisive, qui est l'épreuve de rhétorique ou l'exercice public de la parole en vue de persuader un auditoire, plutôt exigeant, en mettant en œuvre cet art efficace, mais bien difficile, que Quintilien définit comme «arte bene dicendi» (l'art du bien dit) et qui est en gros l'éloquence. Une éloquence mêlant, dans le discours inaugural de Monsieur Béji Caïd Essebsi, les trois actes établis du bon discours rhétorique et qui sont instruire (docere), plaire (placere) et émouvoir (movere).
La délicate mise en œuvre de l'éthos
En effet, s'exprimant aisément dans une langue arabe tout aussi correcte que simple et fluide et usant par moments de quelques expressions dialectales, marquées, à nous tous familières, Monsieur Béji Caïd Essebsi qui n'est pas qu'un fin politicien, mais qui est aussi un grand avocat et un excellent orateur maîtrisant à merveille les stratégies du discours, a en effet réussi à nous instruire clairement sur la très délicate situation politique et sociale dans notre pays ainsi que sur l'importante responsabilité qu'endosse le gouvernement qu'il a accepté de diriger, et sur le projet, maintenant national, d'une Assemblée constituante, pour tous absolument indispensable. Et bien qu' elle concerne notre présent et notre avenir, cette instruction développée avec force références et arguments est loin de constituer ce qu'il y a de plus fort et de plus captivant dans le discours de notre nouveau Premier ministre et qui réside, à notre avis, dans le dispositif stratégico-langagier qu'il a mis à contribution pour élaborer son discours de façon à nous plaire, nous toucher, agir progressivement sur notre affect et emporter enfin notre adhésion dont décident aussi, sûrement, les éléments subjectifs du discours. C'est-à-dire ce «plaire» et cet «émouvoir» que Monsieur Caïd Essebsi a su injecter à doses variables à sa performante parole politique et manier avec délicatesse, sans faillir le moins du monde à une spontanéité heureuse coulant de source, mais dont notre orateur n'a pas manqué de tirer profit, et ce, en investissant son être ou plutôt son éthos dans le langage qu'il a fait sien et qu'il a voulu surtout rassurant : dès les premiers mots de l'exorde (le préambule du discours rhétorique) où il est question pour l'orateur de rendre «docile, bien disposé et attentif» le public, Monsieur Béji Caïd-Essebsi s'est mis à construire cet éthos faisant partie de la classique trilogie aristotélicienne des moyens de preuve (éthos, logos et pathos) et consistant en l'image de soi, nécessairement positive, que l'orateur construit, explicitement ou implicitement, dans son discours afin d'exercer une influence sur son auditoire, le séduire ou même, au besoin, le manipuler. Il s'agit ici précisément pour l'auteur du discours de se montrer sous un jour favorable et de signifier ses vertus éthiques telles l'honnêteté, l'intégrité, le bon sens, la bienveillance et le sérieux (cf- son principe affiché dès l'épilogue : «La sincérité dans le dit et le dévouement dans l'action») qui sont autant de valeurs préétablies par un commun système axiologique ou une opinion commune (une doxa) et qui rendent l'orateur digne de foi et, partant, d'écoute attentive et favorable. Car, écrit Aristote, «les honnêtes gens nous inspirent confiance plus grande et plus prompte sur toutes les questions en général, et confiance entière sur celles qui ne comportent point de certitude et laissent une place au doute. Mais il faut que cette confiance soit l'effet du discours, non d'une prévention sur le caractère de l'orateur (…). C'est le caractère qui, peut-on dire, constitue presque la plus efficace des preuves».
De cet éthos qui n'est pas pour Monsieur Caïd Essebsi que «discursif», notre heureux nouveau Premier ministre a tenu à nous donner une idée précise qui nous semble coïncider parfaitement avec sa bonne réputation d'homme politique patriote, cultivé, émérite, propre et courageux.
L'ouverture de son discours par un verset coranique ainsi que les deux ou trois autres références au Coran et au «hadith» du Prophète Mohamed procèdent aussi de cet éthos, de cette information sur soi-même et de cette volonté, de toute évidence sincère, d'établir tout de suite un rapport de confiance avec l'auditoire (le peuple tunisien essentiellement musulman). Ils pourraient signifier aussi, implicitement, que le projet de l'Etat démocratique et moderne que Monsieur Caïd Essebsi est venu défendre et soutenir, n'est pas en contradiction avec la foi religieuse, avec l'Islam et avec le Coran. Peut-être pourrait-on y voir aussi une manière de faucher l'herbe sous les pieds de ceux qui chevaucheraient le sacré dans leur quête du pouvoir politique !
Dans la part du «discours fondé sur la raison» ou «logos», Monsieur Béji Caïd Essebsi multiplie les arguments et les références en tirant sa légitimité politique et oratoire, non pas de la vieille Constitution, bientôt obsolète, mais de la Révolution du peuple tunisien dont il explique les motivations et adopte les concepts. Pour convaincre, il puise aussi dans ces arguments particuliers que les rhéteurs appellent les «lieux» (loci argumentorum) et qui sont des schèmes argumentatifs communs à différents raisonnements oratoires. Ainsi, afin de signifier la prochaine dissolution du Parlement et du Conseil des «Moustacharine», a-t-il usé du «lieu» très connu de «Qui peut le plus peut le moins» signifiant que l'annonce déjà faite, la veille, par le président de la République par intérim de la suppression de la Constitution de 1959 suppose la désactivation, moins difficile, de ces deux chambres des députés.
En évoluant sans encombre vers la péroraison (l'épilogue de son discours), Monsieur Béji Caïd Essebsi, qui est très conscient de la suspicion en laquelle sont tenus aujourd'hui plusieurs hommes politiques tunisiens, revient encore à l'argument éthique, absolument utile, pour dissiper les derniers doutes, les dernières craintes, et rassurer davantage : il aime donc à rappeler qu'il n'est qu'un homme ordinaire, humble et capable d'abnégation qui reconnaît son imperfection et sa faillibilité toutes humaines. Là, il cite encore le Coran où il est recommandé de ne pas «marcher sur la terre présomptueusement», c'est-à-dire de demeurer simple et modeste, comme est supposé l'être Monsieur le Premier ministre cultivant ici tout son art pour avoir notre préjugé favorable et même pour gagner notre sympathie, voire notre complicité.
Avant la clôture, c'est encore une petite digression qui agrémente, comme celles qui l'ont précédée, le discours et qui offre à l'auditoire, en plus de l'humour tendre et élevé dont a été capable Monsieur Caïd Essebsi, un autre petit moment de «détente» revivifiant l'atmosphère : captant entièrement notre attention, notre orateur, très doué, nous raconte la brève histoire d'un petit couturier inconnu ayant réussi à comprendre le très puissant dirigeant russe Nikita Khrouchtchev en lui confectionnant, tout simplement, un costume à ses mesures, quand un autre couturier des plus connus a été renvoyé en Sibérie, parce qu'il a cherché la complication ou qu'il s'est trompé de mesures. La moralité recherchée par notre Premier ministre, après le rire complice, est de l'apprécier, lui-même, à sa juste valeur, objectivement et sans mauvaise foi.
La spectacularisation du discours
Ne s'appuyant sur aucun document écrit, Monsieur Béji Caïd Essebsi a mis à profit son excellente mémoire dont rien ne semble troubler la parfaite lucidité et qui lui a permis de mémoriser les grandes idées de son discours qu'il a prononcé, à la manière des grands tribuns, sans lecture et en mettant en œuvre aussi cette très importante cinquième partie du système rhétorique — après «l'invention», «la disposition», «l'élocution» et «la mémoire», toutes présentes dans ce discours de qualité — qui est «l'action» (actio) et qui correspond à un grand moment de performance dans le savoir-faire de notre ministre orateur. C'est, pour employer l'expression de Christian Plantin «la spectacularisation du discours» où sont engagées à la fois la prononciation effective du discours et son interprétation par la voix, par le visage, par les yeux, par les mains et par le corps, bref par le vocal, le mimique et le gestuel. Cette spectacularisation exécutée avec l'habileté d'un maître dote le discours de Monsieur Caïd Essebsi d'une vitalité particulière qui fait que tous ses mots portent et qui augmente sensiblement son coefficient de recevabilité.
Mais, par-delà la rhétorique, le plus touchant ici est cette âme secrète qui fait que ce discours de Monsieur Béji Caïd Essebsi paraît porté par un souffle absolument naturel que personne ne saurait rattacher à un quelconque artifice.
Voilà enfin un homme d'exception qui ne semble avoir hérité de son ancien ami, le leader tunisien feu Habib Bourguiba, que le meilleur, et sur qui notre pays pourrait sans doute compter. Bravo Monsieur le nouveau Premier ministre !
R.B.
* Universitaire, Hammam-Sousse


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