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La révolution : Pouvoir politique et puissance populaire
Tribune
Publié dans La Presse de Tunisie le 25 - 01 - 2011

Après celle de l'indépendance, l'étoile de la seconde libération scintille au firmament de la contestation. Mais n'en déplaise aux nouveaux propagateurs d'élucubrations mensongères, les Tunisiens luttèrent, par milliers, contre les pratiques exploiteuses, dominatrices et tortionnaires du système totalitaire. D'un peuple même brimé, humilié, muselé par un quarteron de truands éhontés, il ne faut jamais désespérer. Aujourd'hui, par une mort plus belle encore que la vie, Mohamed Bouaziz rugit et Ben Ali, surpris, terrifié, déconfit, s'enfuit.
Est-ce ainsi que les colosses, hier si habiles, dévoilent, soudain, leurs pieds d'argile ?
C'est de Sidi Bouzid, et non pas d'El Manar, de Carthage, de Sidi Bou Saïd ou de La Marsa, que l'immolé abat la grande mafia. Est-ce l'effet du hasard au moment où la marginalité monte à l'assaut de la centralité ? Eu égard au nord et à ses châteaux, le sud, laissé pour compte, n'est pas qu'un mot. Dans sa dialectique des omranes badaoui et hadhari, Ibn Khaldoun opposait la vigueur tribale à la mollesse de l'installation centrale. Mao prônait l'encerclement des cités par les campagnes surexploitées. Le temps et le contenu spécifique de ces mouvances diffèrent mais toutes avancent leurs bataillons dans la même direction. Avec ou sans bâtons, qu'est-ce que la révolution ?
Depuis le jour inouï, les cœurs des hommes libres attirent Ben Ali vers le bas et aspirent Bouazizi vers le haut. Au vu de cette observation liminaire, il ne s'agit pas d'une rotation circulaire, mais il est question d'une permutation représentée sur une verticalité linéaire. Métaphore pour métaphore, toutes, par définition arbitraires, autant alors choisir une prose plus conforme à l'adéquation des mots et des choses. Dès lors, ce retour d'expérience fonde l'explication de l'insurrection.
Il n'est de force radicale que des franges élargies de la société globale. Mais, par l'incontournable subterfuge de la délégation, ce drôle de chemin, une conversion métamorphose la puissance populaire de tous en pouvoir politique de quelques-uns. Par définition, ce transfert matriciel potentialise les conditions de l'usurpation. Seule Athènes, au siècle de Périclès, déroge à cette règle de l'histoire antique, moderne et contemporaine. La vertu personnelle rendait superflu le divorce du pouvoir avec la puissance. Maintenant, les marches opposées à la composition du gouvernement provisoire subodorent la récupération et tâchent de colmater la béance ouverte par la délégation. Aux caciques de l'ancien régime, conviés à rendre gorge et à plier bagage, les amants de la révolution crient «dégage». La juste énonciation du slogan fuse du lieu où luttent les audacieux. Quelle est donc la configuration de ce champ foulé par les manifestants ? Les théoriciens de la révolution, Marx, Engels, Lénine et Mao définissent la révolution par la transition d'une structure sociale de classe à une autre. Ainsi, le passage du féodalisme agraire au capitalisme industriel transforme à la fois l'économie, la politique et l'idéologie. Aujourd'hui, la Tunisie héroïque ouvre la rubrique de la révolution démocratique. Un mot résume cette apocalypse politique. Pas de pouvoir sans contre-pouvoir. Mais le capitalisme sauvage perpétue ses ravages. Que peut la redistribution charitable sans la remise en question des rapports sociaux de production ? L'économie, fondatrice de l'idéologie, nous attend au tournant.
Néanmoins, la fin de la dictature politique et du pillage systématique n'est pas rien. Si, demain, la justice ramène le tortionnaire en chef et la première voleuse du pays, ne pas les torturer ajoutera une fleur au bouquet de la démocratie. Une ultime conclusion brille à l'horizon de cette prospection. Mohamed Bouazizi, au nom bien mérité, ceux qui, jusqu'ici butaient sur l'interdit imposé par l'usurpateur enfin nu et déchu, te saluent. Depuis ton signal, tragique déclencheur de l'implosion, la révolution source, partout, la fraternisation. Le 16 janvier, deux citoyennes, Achwek Belgacem et Hayet Rebaï, reviennent du marché. Aux abords de la «Place Barcelone», sous leurs yeux, sidérés, un militaire tombe à terre, blessé ou tué par un sniper. Tout près, les balles crépitent et les deux copines, terrifiées, courent très vite. Une fois parvenues à la rue Ibn-Khaldoun, un agent les introduit au restaurant tout proche de son poste. Là, une dizaine de civils et de policiers se sont réfugiés, à l'orée du couvre-feu décrété. Mon téléphone sonne. En pleine crise de nerfs, les deux jeunes filles m'appellent et me tiennent ce propos entrecoupé de sanglots:
– «Que va-t-il nous arriver ?… Nous ne pouvons pas sortir avec les snipers sur les toits… Nous allons nous effondrer… Heureusement les gens, ici, sont extraordinaires… Ils nous laissent tranquilles dans la cuisine… Ils nous ont apporté deux chaises… Nous mourons de peur, de fatigue et de sommeil… Comment tenir jusqu'au matin ?»
– «Ne pleure pas; calme-toi, il n'y a rien à faire, respire profondément, ferme les yeux et tâche de t'assoupir.
Hayet veillera sur toi un moment, puis, à son tour, elle se reposera. Passe-moi l'un des policiers».
– «Ne vous inquiétez pas pour les étudiantes, professeur; elles sont sous notre protection».
– «Leur foyer n'est pas loin de votre poste. Il se trouve à la rue Ali-Ben Ghedahem et à trois cents mètres du ministère de l'Intérieur. Pourriez-vous les y accompagner ?»
– «Aucun ne peut sortir sans grand risque, professeur. Le problème n'est pas les soldats chargés du couvre-feu, mais les snipers entrent, de jour, dans les immeubles et se cachent sur les toits. Ici, nos sœurs n'ont rien à craindre. Malgré la peur, elles ont recouru aux serviettes de table pour appliquer un garot et arrêter l'hémorragie du civil blessé. Tirée du toit, la balle s'est incrustée dans la cheville d'un pied après avoir traversé le mollet de l'autre. L'employé au restaurant a téléphoné à son patron qui l'a autorisé à nous héberger jusqu'à la fin du couvre-feu. Les étudiantes essayaient de rassurer une vieille dame au moment où elles-mêmes pleuraient. Elles nous ont émus. Il n'y avait rien de prêt. Elles ont préparé des pâtes et tout le monde a mangé».
Une semaine après, je retrouve la même convivialité. Le matin du 22 janvier, au Monoprix d'El Manar, tous les employés, mobilisés, portent un brassard noir. Avec un préavis de grève, osé pour la première fois, ils réclament, sans manières, ni fard, une majoration salariale de soixante dinars. Dans l'ambiance euphorique, l'une des caissières me dit : «Ce sera mon cadeau de mariage offert par la révolution. J'espère que le second sera la titularisation».
Ici, où j'évolue tel un poisson dans l'eau, d'autres complètent, sans façon, mon information. Aux délégués du personnel bien décidé, le propriétaire de la grande surface dit ceci : «J'avais mis de côté une somme pour ouvrir un autre Monoprix. Mais je vais affecter cet argent à l'amélioration de votre situation. Maintenant, j'ai compris que mon vrai capital, c'est les employés».
Une fois le verrouillage politique brisé, le volcanisme des revendications économiques fuse à travers les failles de la rigidité cadavérique. Introduit par le débrayage, le désordre, légitime, délégitime l'ordre illégitime. Devant le ministère de l'Intérieur, hier, submergé par la houle de la foule, une jeune fille saute au cou du guerrier médusé. Maintenant, les bouquets de fleurs obstruent la gueule des canons. C'est le jour où le moyen de la guerre devient le symbole de l'amour.
Ce brusque passage de la distance à la proximité narre l'éclosion de la fraternisation dans le sillage de la Révolution. Il n'y a plus ni militaire, ni militant, ni professeur, ni étudiant, ni féminin, ni masculin, ni théorique, ni anecdotique, ni rationnel, ni émotionnel, ni Tunis, ni Paris, à l'ère où l'universel sourit. Mais sans transformation des rapports sociaux de production, plus dure sera la désillusion. Pourquoi donc attendre l'irruption de la colère sans frontières pour enfin songer à minimaliser le chômage, à régulariser l'emploi et à majorer les salaires.
Pourtant, ce n'est là qu'un premier grand pas. Car, par-delà cela, le style de l'autorité a partie liée avec l'unilatéralité fondatrice de l'irréciprocité. Le fuyard de son palais pousse à l'extrême limite l'usurpation du pouvoir pour le pouvoir et l'avoir. Sorti, hélas, de sa caserne, baba Ali gouverne surtout pour garnir sa caverne. Même si mieux vaut tard que jamais, il fallait manifester au moment du coup d'Etat nocturne pour exiger des élections diurnes. Quelques-uns, dans Essabeh et Outrouhat, incitèrent, sur-le-champ, à réfuter le procédé. Cependant, même le suffrage universel rate l'essentiel. Dans tous les cas de figure, la délégation infiltre un vice de forme consubstantiel, matriciel et notoire dans la notion même de pouvoir. Et là débute, à peine, le vrai débat. Certes, aucune organisation ne survit à l'absence d'un mécanisme de régulation. Néanmoins, dès la disqualification, a priori, des millions, par un quarteron, au nom des élections, les tenants de l'autorité aspirent à une opposition qui ne s'oppose pas, et les partisans de l'opposition délibèrent à propos d'un pouvoir qui ne peut pas.
Fourvoyés entre ces deux signaux contradictoires, les uns et les autres broient, quelque part, du noir. Dès lors où il est question d'action dans ces conditions banales, comment renoncer au scepticisme, ce fidèle compagnon de la pensée radicale. Bien loin de pactiser avec les voies des rabat-joie, il prémunit, à la fois, contre les rengaines du pessimisme narquois et les sirènes de l'optimisme béat.


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