L'autre jour, une chaîne de télévision étrangère (dont on ne m'a même pas communiqué le nom) m'a demandé, comme ça, de but en blanc, ce que voulait dire pour moi la révolution tunisienne, et ce dont elle était capable! Cela m'a un peu surpris et, à chaud, j'ai répondu que ce n'était encore qu'un petit bébé. Un petit bébé qui venait de naître des entrailles de la pauvreté et de la misère et qu'il fallait prendre en charge, être aux petits soins, avec lui, et faire en sorte que, d'ici un an ou deux, il puisse marcher sur ses deux jambes. J'ai ajouté, à propos de ce dont elle était «capable» (cette révolution) que je n'en savais rien, mais qu'elle n'était sûrement pas tombée du ciel. Cette révolution, répétais-je, me rappelle, allègoriquement, la naissance d'un enfant encore sans sexe ni idéologie d'aucune sorte et que, poétiquement, je le voyais déjà, dans sa pureté, comme le Petit Prince de Saint Exupéry qui cherchera un jour à ce qu'on lui apprenne beaucoup de choses de ce pays, ses moutons et ses gens, les bons et les mauvais, les étoiles et la grande lumière. Je me suis souvenu aussi de certaines vérités contenues dans l'ouvrage Médecin du Néant de mon défunt ami, le Dr Mohamed Ben Salem (*), lorsque narrant les péripéties de son existence, il évoque la «porte tourmente», comme celle qu'il avait remarquée à la Banque centrale de Tunisie. Voici ce qu'il disait : «J'étais subjugué en la regardant se mouvoir circulairement, comme la terre autour du soleil. L'axe est toujours fixe, immuable, imperturbable comme l'éternité, les individus sont expulsés continuellement dans toutes les directions. Elle ne revient jamais en arrière, elle fonctionne comme la veine-porte anatomique qui conduit le sang depuis l'intestin grêle, le pancréas, la rate et l'estomac jusqu'au foie, jamais elle ne fonctionne en sens inverse». Et d'ajouter: «Au cours de notre vie, nous traversons continuellement cette porte tourmente, mais nous ne retenons le phénomène que lorsqu'un événement brutal et inattendu se produit dans notre existence qui laisse une empreinte plus vive en notre mémoire». Cet «événement brutal et inattendu» ce pourrait être aussi cette révolution tunisienne que nous avons vécue, depuis le 14 janvier à travers ses périodes d'euphorie, d'exaltation puis d'abattement à ne savoir plus quoi faire. «C'est à ces moments-là», nous dit le Dr Ben Salem, «que l'homme réalise le changement et se sent traverser la porte tournante». Et plus rien ne baigne dans l'huile comme avant. Mais pourtant, à travers cette parabole, la révolution devient un bien pour toujours, une acquisition définitive, en attendant, peut-être — ou même, sûrement — un autre événement ou d'autres événements successifs qui réjouiront ou abattront les esprits. Etre révolutionnaire, aujourd'hui, c'est aussi savoir franchir cette porte tournante à tout instant, stoïquement en pensant qu'il y aura, par la suite, des éclaircies et des retours de périodes d'exaltation, d'euphorie, etc. Un peu comme chez nos amis japonais, après les séismes et les tsunamis et qui se remettent à l'ouvrage avec grande sagesse, ayant toujours foi en l'avenir, malgré les aléas du temps. Et pourquoi pas nous !…