Depuis déjà plusieurs semaines, des centaines de familles libyennes affluent sur notre sol. Elles ont bravé, avec beaucoup de courage, tous les dangers pour fuir l'horreur de la guerre fratricide que vit leur pauvre pays depuis bientôt trois mois. Au-delà de son horreur, ce déplacement massif de populations civiles en un temps relativement court n'a, hélas, rien d'original en tant que tel. Ce scénario est devenu courant partout dans le monde et particulièrement sur notre continent et en Asie. Ce qui, par contre, n'est pas courant et mérite bien qu'on en parle, c'est que ces frères libyens, dès qu'ils ont mis le pied sur le sol tunisien, se sont sentis vraiment chez eux. Malgré les épreuves qu'ils ont vécues, malgré ce qu'ils ont enduré et ce qui les attend peut-être encore, tous étaient heureux d'être en Tunisie, et ne se sont sentis guère dépaysés. Plusieurs familles du Sud, connues pour leur générosité, n'ont pas hésité à partager avec eux gîte et pain. Notre Armée nationale, les Forces de sécurité intérieure, le Croissant-Rouge, et plusieurs dizaines d'organisations caritatives nationales et internationales se sont mobilisés pour les accueillir. Tous les Tunisiens, malgré le peu de moyens dont ils disposent, les ont soutenus, nourris, logés et soignés. Ce phénomène rare, aussi bien en histoire qu'en géographie, mérite bien qu'on s'y attarde. En fait, les peuples tunisien et libyen se sont toujours mutuellement soutenus pendant les moments de crises. Ne faut-il pas rappeler ici l'aide et le soutien qu'ils ont apportés l'un à l'autre lors de leurs guerres de libération. Combien de Tunisiens et de Libyens se sont sacrifiés pour la cause du pays voisin, combien de moudjahiddine des deux pays se sont réfugiés clandestinement de l'autre côté de la frontière? Ne faut-il pas non plus rappeler les réseaux de commerce informels ou clandestins qui ont toujours existé entre les deux pays malgré la traque des deux régimes en place, et qui malgré tout ont permis aux populations des deux pays d'entretenir des relations socioéconomiques profitables ? Notons également que lors des moments difficiles qu'ont traversés les relations politiques tuniso-libyennes, beaucoup de nos travailleurs émigrés ont, avant leur refoulement de Libye, reçu l'aide et le soutien de leurs amis libyens, et leur ont, après la tempête, permis aisément de réintégrer leur travail en Libye. En dehors des relations politiques fluctuantes, les liens entre les deux peuples ont toujours été profonds. A travers l'histoire, ces liens se sont toujours consolidés pour ne former, contre vents et marées, qu'un seul peuple. Une vraie histoire d'amour lie les Tunisiens aux Libyens et les liera, je l'espère, pour toujours. M.K. *(Ancien directeur de l'ENA)