L'attractivité du site tunisien basée sur la faiblesse des coûts salariaux et des incitations fiscales est insuffisante La transition économique en Tunisie a été débattue en long et en large deux journées durant, organisées par l'Association des économistes tunisiens (Asectu) et clôturées, hier, à la Cité des sciences à Tunis. A cette occasion, des experts internationaux et nationaux ont développé des réflexions à partir des expériences internationales de l'Amérique latine, de l'Europe du Sud et de l'Europe centrale et de l'Est. S'attardant sur l'économie nationale, M Sadok Belaïd, universitaire, a expliqué que le régime mafieux qui a fait mainmise sur tous les secteurs a favorisé un développement à deux vitesses de l'économie nationale. Un régime légal en crise. Et un deuxième, illégal, avec des résultats «florissants». "Cette situation a été aggravée par les niveaux de corruption élevés, intimement liés au chômage", a-t-il ajouté. Composé d'entreprises de faible valeur ajoutée, employant une main-d'œuvre peu qualifiée, le tissu économique tunisien, essoufflé, était dans l'impossibilité de satisfaire les attentes et les besoins des parties prenantes, demandeurs d'emploi, de biens et services et même de placements financiers. Quant aux perspectives, M. Belaïd a relevé que tout passe par une révision profonde et audacieuse du système éducatif. Dans ce sens, il a rappelé qu' "en 10 ans, l'Inde est passée d'un pays sous-développé à un partenaire incontournable des pays industrialisés". Et d'ajouter : "les ressources humaines, notamment les cadres, ont assuré la compétitivité des entreprises indiennes". La démarche consiste, alors, en une révision complète qui commence de la base, notamment l'enseignement primaire, pour arriver à l'enseignement supérieur. Pour sa part, M. Ridha Gouia, universitaire, a jeté la lumière sur le rôle des investissements directs étrangers (IDE) dans le développement de la Tunisie. Dans son intervention, il a développé une analyse comparative avec les pays de l'Europe centrale et de l'Est (Peco). En effet, il a relevé que " si la transition économique dans les Peco a pris essentiellement la forme d'une privatisation des moyens de production, en Tunisie elle est synonyme d'une libéralisation et de transparence des règles et des mécanismes de fonctionnement des structures du pays". Pour renforcer les IDE, le pays doit engager un vaste chantier d'assainissement des structures économiques. "L'attractivité basée sur la faiblesse des coûts salariaux et des incitations fiscales est insuffisante", a expliqué M. Gouia. Eviter l'amour excessif de la démocratie Lors de son intervention, M. Guy Hermet, directeur de recherches émérite à Sciences-Po Paris, a développé une réflexion basée sur l'état d'esprit des acteurs des transitions latines. En effet, c'est d'un commun accord que l'opposition et la jeune génération des dirigeants de l'ancien régime autoritaire ont conduit ces mouvements. Mais, l'acharnement et la vitesse des changements peuvent conduire à la destruction de l'Etat. Dans ce cas, l'armée ou un gouvernement militaire, généralement bien accueilli, intervient pour maintenir l'ordre. " Mais quand on est au pouvoir, c'est difficile de le céder", a ajouté l'orateur. Le peuple demeure dans une situation d'attente d'améliorations sensibles. Et ça risque de perdurer des décennies. "Les issues de la révolution ne sont guère prédéfinies", a-t-il précisé. D'ailleurs, certaines transitions ont mené à des régimes populistes, sous plusieurs figures politiques, religieuses... D'autres ont été marquées par une entente entre les acteurs modérés, notamment les partis politiques du centre, pour construire un régime autoritaire. Selon M. Guy, il s'agit d'une démocratisation par des moyens non démocratiques. D'après lui, la maîtrise de la masse populaire, la continuité des services de l'Etat et la présence de personnages charismatiques sont des conditions nécessaires pour assurer la transition démocratique. Toutefois, s'agissant du modèle tunisien, qu'il a qualifié de soulèvement et non de révolution, les personnalités charismatiques ont fait défaut. De son côté, Werner Gephart, juriste et sociologue allemand, a résumé les résultats des recherches comparatistes présentés au colloque international de Bonn sur la transition et la constitution de sociétés démocratiques. Il a mis l'accent sur la fragilité et la complexité des transitions démocratiques. Pour lui, réussir la transition est synonyme d'un passage à une véritable culture du droit et du respect du droit. Parmi les droits, l'expert a évoqué le droit au rire, qui, d'après lui, constitue une arme politique.