Le mot Niya fait référence, en langue arabe, au thème de la "confiance". Mais il veut dire aussi "être naïf"... Niya, c'est aussi le nom du spectacle du Ballet national algérien qui a été présenté, mercredi dernier, sur la scène du Théâtre municipal de Tunis, dans le cadre de la dixième édition du Printemps de la danse. Deux chorégraphes français, d'origine algérienne, Mohamed Abou Laagra, et son assistante Nawel Abou Laagra, ont voulu gagner " la confiance " de la jeunesse de l'Algérie. Ils ont été aussi "naïfs" de croire à une danse contemporaine dans ce pays du Maghreb, en voie de construction. D'où le titre de ce spectacle. Niya permet donc de retrouver le corps que "nous, Maghrébins et Arabes, avons oublié", précise Abou Laagra. Niya ramène aussi les danseurs de rue à la scène. Une dizaine de danseurs de hip-hop ont enlevé leurs baskets et ont enfilé les demi-pointes. Ils ont dansé, d'abord, sur le Bolero de Ravel et ensuite sur un chant de " chaoui " interprété par Houria Aïchi, seule "présence" féminine dans ce spectacle. Le Bolero, à l'algérienne, prend naissance du brouhaha des rues et des souks. Solos et duos s'enchaînent avant de céder la scène aux mouvements d'ensemble, bouleversants par la force d'une gestuelle à la fois spontanée et réfléchie. Certains ont des plis sur le ventre, d'autres ont le dos peu courbé. Mais ces défauts, dus forcément à une longue pratique de la danse des rues, n'ont, en aucun cas, nui à l'harmonie de ce Bolero. Force, originalité et beaucoup de volonté émanent de chaque geste. Les Algériens, habillés en tee-shirts et pantalons, ont épaté par leur maîtrise de corps et par cette manière de mettre le hip-hop au service de la danse contemporaine. Un mariage parfait. Où sont nos danseurs ? En deuxième partie, les danseurs ont changé de costume et de registre. Torse à moitié nu, ils se sont immergés dans la voix voluptueuse de Houria Aïchi. Une voix profonde qui emporte l'audience dans des mouvements onduleux aux rythmes lents, rappelant le balancement des houles au fond des mers… Revenons sur terre, ou plutôt sur les planches, l'ambiance est autre. Les danseurs s'agitent en des scènes de combat traduisant peut-être le conflit algérien! Mais lorsque les rythmes saccadés des percussions entrent en jeu, les conflits s'estompent. L'harmonie regagne la scène. Les mouvements de groupe prennent le dessus et se déchaînent. Les corps vibrent aux pulsations, d'abord de la darbouka ensuite du tar et, enfin, du bendir. Mais ces mouvements manquent, à notre avis, un brin de tonus. Il aurait fallu peut-être accentuer ce rythme par un hip-hop plus violent et plus énergique. Niya s'achève en beauté. Des jets d'eau, très fins, jaillissent de l'avant-scène, voilant les corps des hommes. Un à un, ces derniers avancent et dansent, chacun à sa manière, avec les filets d'eau. Une belle performance, sans aucun doute. En un an et demi, ces Algériens ont écrit les premières lignes d'une nouvelle histoire de la danse en Algérie. Ils ont dressé des piliers solides pour le développement de cet art… Leur Ballet national prend une forme que nous espérons bien structurée. Niya nous rend... jaloux. Oui, malgré nous. On se demande pourquoi notre Ballet, pourtant plus âgé, demeure éparpillé, presque inexistant ? Pourquoi nos danseurs confirmés et si talentueux, tels que Imen Smaoui, Malek Sebaï, Imed Jemaâ, Nawel Skandrani, Sondous Belhassen, Soufiane et Selma Ouissi, Hafiz et Aïcha M'barek,et j'en passe, travaillent toujours en solitaire ? Pourquoi encore nos militantes pour la danse se mettent-elles en front opposé, comme Raja Ben Ammar, Sihem Belkhodja, Zeïneb Farhat...? Est-il "naïf", aujourd'hui, de poser ces questions ? Peut-être. Mais la danse a besoin de tous ses fils pour s'imposer, aujourd'hui, dans une Tunisie qui se cherche. Niya, oui, nous le sommes. Mais nous avons confiance en tous nos danseurs, nos chorégraphes et nos militants...