Entouré de membres du bureau politique de son parti, M. Mustapha Ben Jaâfar, secrétaire général du Forum démocratique pour le travail et les libertés, a introduit le déjeuner-débat organisé hier autour du thème «La place des médias dans la transition démocratique», en insistant sur la gravité de la période que traverse actuellement le pays et sur la nécessité d'assurer les conditions objectives pour mener à bien la transition démocratique. Homme d'expérience, à la fois militant politique et fervent défenseur des droits de l'Homme, initié à la cause nationaliste dès sa prime jeunesse, M. Ben Jaâfar a participé à la fondation de l'hebdomadaire Erraï (L'Opinion) et du Conseil des libertés, ancêtre de la Ligue tunisienne des droits de l'Homme (Ltdh). Il a rappelé le parcours de son parti qui n'a pas été pavé de roses «puisque nous avons attendu de 1994 à 2002 pour obtenir le visa», a-t-il dit. Parlant le langage de la vérité et sans verser ni dans l'optimisme béat ni dans le pessimisme noir, il a brossé un tableau général de la situation actuelle avec ses composantes politique, sociale, économique et médiatique. Rappelant la position de son parti concernant l'échéance du 24 juillet prochain qui «sans être un rendez-vous sacré, constitue pour nous un engagement qu'il faut respecter dans l'intérêt du pays», il a indiqué que «nous sortons d'une période noire marquée par le sceau de la tyrannie, l'absence des libertés et la monopolisation des espaces publics et des médias. Nous repartons à zéro pour construire un nouvel Etat sur des bases démocratiques. C'est pourquoi les médias se trouvent au cœur même de la transition pour éclairer le chemin». Tout retard dans la réalisation de l'agenda politique annoncé par le président intérimaire pourrait avoir des conséquences fâcheuses. «La confiance ne saurait être instaurée sans un gouvernement légitime auquel personne ne pourrait se hasarder à lancer le fameux dégage», explique M. Ben Jaâfar, qui précise que «le gouvernement qui sera constitué après le 24 juillet se penchera sur deux grands dossiers qui sont l'élaboration d'une nouvelle Constitution et le dossier économique et social. Il est entendu, ajoute-t-il, que le gouvernement provisoire, de par sa mission limitée dans le temps, ne peut pas engager des réformes en profondeur». Il espère que les élections de l'Assemblée nationale constituante feront sortir une majorité profondément attachée aux valeurs de la République et capable de «défendre la société moderne enracinée dans sa culture arabo-musulmane, une société progressiste au service de la Tunisie». Il prône un type de «société citoyenne qui ne peut se construire que sur la base de la réconciliation véritable entre tous les citoyens indépendamment de leurs divergences intellectuelles. Et ce, après avoir jugé tous les anciens responsables impliqués dans les malversations et le despotisme», tout en se déclarant contre «l'inquisition et la chasse aux sorcières». Impliquer les jeunes dans la vie politique Abordant le volet sécuritaire, le secrétaire général du Fdtl a exprimé sa préoccupation quant aux dépassements enregistrés ces derniers jours, «autant nous n'acceptons pas qu'on touche à l'intégrité physique des citoyens et en premier lieu les journalistes, autant nous appelons à l'encadrement des manifestants pour éviter toutes sortes de provocations et de dérapages». Evoquant «l'affaire Rajhi» dont les déclarations ont failli provoquer un séisme politique, M. Ben Jaâfar, qui demeure attaché à la liberté d'expression, admet que «les déclarations de l'ancien ministre de l'Intérieur et notamment celles se rapportant au régionalisme et à l'institution militaire, ne sont pas dignes d'un haut responsable». Qualifiant M. Béji Caïd Essebsi, l'actuel Premier ministre intérimaire, «d'homme politique chevronné qui a donné de bons signes, son discours passe bien mais la machine semble encore rouillée», le secrétaire général du Fdtl exige une rupture totale avec l'ancien régime, ajoutant : «Nous voulons un message clair dans ce sens, car nous sommes devant une révolution dont il faut saisir toute l'ampleur». Le secrétaire général du Fdtl n'est pas satisfait de la prestation des médias nationaux, «la chaîne nationale est parfois plus radicale que les radicaux eux-mêmes», lance-t-il, expliquant que «la reconversion des médias sera difficile et que, par conséquent, la responsabilité des journalistes est importante dans cette phase cruciale de transition». Certains responsables de partis semblent bénéficier de beaucoup plus de temps et d'espaces dans les différents médias que d'autres, «ce qui est inadmissible, répond M. Ben Jaâfar, c'est pourquoi nous avons appelé dès les premiers jours ayant suivi la révolution à la mise en place d'une instance de régulation». A propos de la participation des jeunes dans la vie politique et leur faible implication dans le débat national sur la transition, M. Ben Jaâfar impute «la responsabilité à l'ancien régime» qui a limité les espaces d'expression et n'a pas favorisé la participation active des jeunes dans la vie sociale et dans la prise de décisions. Les jeunes, faut-il le rappeler, ont été les principaux acteurs de la révolution et notamment les jeunes des régions déshéritées. Ils se confinent, actuellement, dans un rôle de protestataires et n'ont pas de porte-voix dans cette cacophonie médiatico-politique. Le secrétaire général du Fdtl estime que le moment est venu pour que «la jeunesse tunisienne qui a fait la révolution, occupe la place qui lui sied dans l'échiquier politique et fasse entendre sa voix».