Très peu de gens ont répondu présent à l'appel de Mohamed Ben Smaïl pour la projection, avant-hier au cinéma AfricArt, de son récent court métrage L'héritage du menuisier et de son long métrage Demain, je brûle, sorti en 1998. Pourtant, L'héritage du menuisier, un petit film naïf, est un beau poème d'amour et de sensibilité. L'anecdote raconte l'histoire d'une jeune femme qui revient après quinze années d'exil, dans sa terre natale, la Tunisie. Dans la ferme familiale abandonnée, elle découvre des centaines de boîtes d'urnes en bois construites par son grand-père menuisier lors de l'indépendance des pays arabes, espérant contribuer à la création de démocraties dans ces pays. Dans une lettre adressée à sa petite-fille, le grand-père déplore qu'il n'y ait eu aucune démocratie dans aucun des 22 Etats arabes. Ce film tourné l'été 2010 à Tazarka, sans autorisation, s'est fait avec l'espoir que les choses changent enfin en Tunisie. L'histoire nous rattrape et nous voilà avec un immense besoin de ces urnes pour toutes les nouvelles démocraties en marche. Au-delà de cette petite histoire, Mohamed Ben Smaïl offre un poème visuel qui ne suit pas forcément une quelconque narration, mais qui fait plutôt sortir des moments, des instants d'émotion et de souvenirs qui surgissent dans la tête de son personnage féminin. La ligne conductrice de ce film de 20 minutes est la lettre écrite par le grand-père, une sorte de témoignage-testament ou de legs, qui a la force d'une confidence. Le film s'articule sur trois axes de temps : celui de la narration (la voix off), celui de l'action (les péripéties racontées dans la lettre) et, bien, sûr, celui de l'image (la randonnée de la jeune fille sur les lieux de tous ces souvenirs). Parfois, les trois axes se croisent et des métaphores prennent forme pour accentuer les propos et offrir une image coup de poing, bouleversante et débordante de sensibilité. C'est le cas de la scène finale, où les boîtes sont jetées en mer, comme «le radeau de la méduse», donnant une seconde chance à un naufragé ou à l'un des rescapés d'une dictature absolue. Le seul hic ce sont les fautes de diction et de grammaire qui se sont, à plus d'une occasion, infiltrées dans la voix off. Dommage, ce genre de négligence rompt la magie du texte et la fusion avec l'image. Une voix off en arabe dialectal aurait peut-être sauvé le film de ce dérapage, offrant une meilleure musicalité au son et une poésie autre que celle d'un texte littéraire mal écrit et mal dit.