A un moment de la transition démocratique où les rapports de l'Etat à la religion prennent les devants du débat pluraliste, les approches académiques et les controverses universitaires se mettent laborieusement au service de la réflexion générale au sein de l'opinion publique. Et le débat philosophique des universitaires et des experts, tunisiens comme étrangers, de s'ouvrir à Monsieur tout-le-monde, appelé à voter, le 24 juillet, en pleine connaissance de cause. La conférence à deux intervenants, organisée samedi dernier à la Bibliothèque nationale de Tunis, a pris l'allure d'un dialogue étriqué entre la problématique telle qu'elle se pose sur la scène académique internationale, et les spécificités du monde arabo-musulman et de la Tunisie plus spécialement. La conférence du Pr Jean-Christophe Merle, «Le mal et ses remèdes dans un monde sans dieu», a permis de dégager un parallèle entre la polarisation mal-bien qu'établit Dieu dans les religions révélées, et les utopies aspirant à éliminer le mal ici-bas. La disparition du mal est ainsi garantie dans l'utopie par la suppression de la tentation et la résolution des besoins, qui conduit à l'uniformisation de la société. Cependant, constate-t-on, l'envie, le ressentiment et la jalousie…peuvent subsister malgré l'égalité. Et Pr Merle d'indiquer que ces sentiments détestables, au lieu de disparaître, sont parfois plus forts quand règnent l'égalité et l'uniformité. C'est notamment le cas de la soif de pouvoir et de la haine. Dieu promet le paradis aux uns, l'enfer aux autres. Alors que la morale universaliste n'a ni récompense ni punition. Et certains philosophes de conclure en estimant que «dans un monde sans dieu, on recherche le bien tout-à-fait là où on le cherchait avant Dieu et les religions monothéistes». Prenant la parole pour donner sa conférence : «Religion et sécularisation», Pr Mounir Kchaou a, tout d'abord, saisi l'occasion du débat suscité par Pr Merle, pour mettre en exergue l'importance de «La question de Dieu» dans le traitement du concept du bien et du mal, regrettant qu'elle ait été supprimée du programme de philo au bac. L'universitaire a passé en revue les différents théories et débats philosophiques pour étayer l'idée, désormais conventionnelle, selon laquelle «si la philosophie ne s'adapte pas à la démocratie, c'est à la philosophie de résoudre ses problèmes avec la démocratie». Et il extrapole cette démarche philosophique en ces termes : «Il revient à la pensée religieuse de trouver les solutions lui permettant de s'adapter à la démocratie». C'est de cette idée que découlerait la sécularisation. Mais Pr Kchaou de préciser que «cette idée que le monde va vers la sécularisation est battue en brèche par le retour du religieux». Car dans les pays où la sécularisation a été adoptée, où l'on a le droit de croire et de ne pas croire, où la liberté de convertir et de se convertir est acquise, où le pouvoir coercitif de l'Etat devient neutre en religion, la foi se trouve être valorisée et le pourcentage des croyants est supérieur. La sécularisation est ainsi une notion sociologique tout à fait différente de la laïcité, qui est un attribut de l'Etat. Sachant que la laïcité est née de la volonté de se défaire de la mainmise de l'église catholique dans certains pays occidentaux. Mais il est clair que la sécularisation implique la neutralité de l'Etat. «La religion musulmane est celle du peuple tunisien. L'Etat a certes des responsabilités, mais faut-il vraiment que la religion soit considérée comme étant celle de l'Etat ?», lance Pr Mounir Kchaou, avant d'expliquer que dans toute société réellement démocratique, l'on constate irrésistiblement l'apparition d'un pluralisme moral et d'une tendance au multiculturalisme.