Par Fethi BENNOUR* Cela fait déjà quatre mois que la dictature a été éliminée, ce n'est pas beaucoup, mais ce n'est pas peu non plus. Dans toutes les copies collées éditées par la multitude de partis et associations, on peut chercher entre les lignes, entre guillemets, les mots rural, paysan, exploitant, agriculteur, on ne les trouvera jamais. Des échos peuvent être retrouvés concernant l'état de leur organisation qui est loin d'être représentative car mise sous tutelle par l'ancien régime, mais pour les intéressés eux-mêmes, c'est le néant. Le Premier ministre évoque le tourisme les grèves, l'insécurité mais pas une seule fois le monde rural. Ce monde rural qu'on écarte de toute considération représente le tiers du peuple tunisien, 40% de cette population vit avec moins de 1,700 dinar par jour, le prix d'un casse-croûte. Ce monde a vu ses terres confisquées par la France, les beys, les notables (en général collaborateurs du Protectorat), par Bourguiba et enfin par Ben Ali. Cette population a subi la coopérativation forcée, la politique de gel des prix de Nouira, le plan d'ajustement structurel et enfin une libération qui a fini par les mettre à genoux. Elle a fait et fait encore face à une administration totalement domestique où les cadres ne pensent qu'à leur petit confort, leurs voitures de fonction. Le ministère de l'Agriculture c'est la plus grande cellule professionnelle du régime déchu. Les cadres qui n'ont pas la carte du RCD ne dépassent pas une trentaine dans tout le pays ; malgré tout cela nos braves paysans ont été en grande partie pour le fait que la Tunsie tienne encore si on peut le dire debout. En 2008, ce sont eux qui nous ont sauvé de la crise alimentaire mondiale. Ce sont eux qui ont subi les plus grandes pertes pour la chute de la dictature, ils ont payé cela de leur sang à Kasserine, Thala, Sidi Bouzid, Kairouan, pratiquement tout le Sud et l'Ouest de la Tunsie, région rurale par excellence. Malgré tout cela ils n'ont pas un seul représentant dans les instances post-révolutionnaires.Des organisations qui n'ont pas 200 adhérents y sont représentées mais eux avec 3,5 millions de personnes ils sont les oubliés. Sont-ils si affreux, sales et méchants qu'ils gêneront par leur présence ces citadins ayant les conditions nécessaires pour la représentativité? Même les vétérinaires qui ont un tant soit peu une connaissance de ce monde ne sont pas représentés, bien qu'ils aient fait une demande en ce sens. Nos paysans ne sont pas bons pour être représentés, mais on exhibe les mères, sœurs et femmes des martyrs comme des bêtes de cirque, l'apothéose a été lors de la fête des martyrs au Belvédère où elles ont laissé éclater leur colère. La palme du déni revient à M.Larbi Chouika qui déclare : la révolution c'est le mérite exclusif des jeunes cyberdissidents. Pour un professionnel de la communication, on ne peut mieux faire. Merci pour les martyrs, Si Larbi. Il faut qu'on comprenne que «tout ne sera jamais comme avant» s'applique à tout le peuple. Pour le monde rural qui a été lésé pendant cinquante ans, rien ne sera plus comme avant aussi. On ne peut parler de démocratie, d'égalité, de droits de l'Homme, quand 40% du monde rural, soit environ 1 million de personnes, vit en dessous du seuil de pauvreté. La révolution reste tributaire d'une paix sociale et d'une bonne agriculture. Cette année, la nature a été clémente, cela nous permettra peut-être de passer un cap. Les crises que traverse le pays : tourisme, grèves, sécurité sont des phénomènes inhérents à la révolution. Avec un peu de patience, les résoudre n'est pas impossible. La maladie du monde rural est chronique, l'éradiquer n'est pas aisé. Le monde rural ne demande pas grand-chose; être digne, avoir un petit toit et vivre un peu mieux. Un effort de solidarité avec cette classe sociale même de la classe ouvrière qui n'est pas bien lotie pourrait à moyen terme diminuer les inégalités entre rif et ville, Est et Ouest. La solution est de donner du travail aux paysans. Ce n'est pas la Banque mondiale ni le FMI qui sauront le faire. Leurs larmes de crocodile après la crise mondiale qui les a discrédités aux yeux de tous les peuples en sont la preuve. Le dernier rapport de la Banque mondiale sur la Tunisie préconisait la suppression pure et simple de tous les petits exploitants et pêcheurs. Ce n'est qu'après la crise de 2008 qu'ils parlent de l'intérêt de la production vivrière. Ces institutions qui ont chouchouté le dictateur et ont été honorées par lui ne doivent pas nous imposer leurs idées. Les paroles de M. Zoellik lors de sa visite en Tunisie ne doivent pas être prises pour argent comptant. Le travail, c'est dans les petites et moyennes exploitations. Le nombre de jours de travail par ha est de 60 à 152 jours dans les petites et moyennes exploitations et de 6 à 10 jours dans les grandes exploitations. Bref, la paix sociale et la réussite de la révolution sont tributaires en grande partie de la résolution du problème paysan. * (Vétérinaire paysan)