Par Khémais Frini «Les mouvements politiques ne reposent pas sur des attitudes rationnelles mais sur des représentations, des images, des mots, des archétypes…», Milan Kundura. La réalité post-révolutionnaire que nous vivons depuis 4 mois le prouve, tout est question de représentation, de communication et parfois même de fantasmes révolutionnaires. Il doit être sûrement agréable de voir se réaliser devant nos yeux, dans les grandes artères de Tunis, le printemps démocratique et révolutionnaire dont on a rêvé depuis 23 ans et aussi dans nos lectures des philosophes du siècle des Lumières. Pour ceux dont les lectures ne se contentaient que de Karl Marx, Lénine et Trotsky ou bien des exégètes commandités par les sultans et les califes, ils ont en pour leurs lectures. La révolution tunisienne n'est ni bolchévique, ni islamiste, elle est démocratique, moderniste faite spontanément et sans leadership par des jeunes gens instruits, la plupart d'entre eux en panne d'emploi. Ethique sociale Dès lors, tous ces jeunes diplômés, ces déshérités, les chômeurs et tous ceux qui ont contribué au succès de la révolution aspirent légitimement à un mieux-être pour mieux faire dans la dignité et le respect des institutions. Y parviendront-ils? Force est de reconnaître que le gouvernement (dont le qualificatif de provisoire devrait être abandonné et remplacé par «de transition»), donc le gouvernement de transition a bien réfléchi sur des mesures appropriées pour répondre aux attentes des jeunes et des régions ; des mesures à court et moyen terme. Mais une course effrénée des revendications sociales et corporatistes empêchent d'aboutir à des résultats à la hauteur des attentes. L'individualisme de certains prend le pas sur l'entraide et la solidarité. Certes l'éthique révolutionnaire, c'est-à-dire la dignité et la recherche d'une meilleure relation sociale doit être respectée au niveau du management des entreprises. C'est la responsabilité sociale de celles-ci d'instaurer un nouveau modèle de management qui ne soit pas autoritaire, méprisant et dominateur et en contradiction avec les règles élémentaires de l'éthique. Cela s'acquiert cependant par les moyens démocratiques et le dialogue. Mais au niveau des corporations et certains ordres il est difficile d'admettre les tentatives de court-circuiter les instances législatives futures qui seront mises en place démocratiquement dans le but de s'octroyer des avantages et des passe-droits profitant d'un rapport de force virtuellement favorable. Cela est contraire à l'éthique citoyenne. Par ailleurs, l'économie secouée par tant de perturbations et de casses ne peut supporter longtemps une surenchère sociale et syndicale qui gagnerait à être reportée pour plus tard. Même quand on a la fibre sociale, il est des situations où l'on ne doit pas avoir froid aux yeux pour la dénoncer. Il semble que la peur des Tunisiens soit passée de la peur de … «un dictateur» à la peur pour … «la révolution». On craint deux choses provenant de forces opposées : d'abord une rémanence de l'ancien régime qui est toujours possible si l'on n'y prend garde. Elle a même été exacerbée par les tentatives d'exclusion, politiquement et stratégiquement maladroites, et qui n'ont pas manqué de nourrir des sentiments de désapprobation chez les innocents touchés par ces mesures discriminatoires. Une autre crainte, c'est que la révolution ne dévie de ses objectifs initiaux, à savoir la justice sociale et la démocratie. On craint en effet qu'elle ne dévie par l'intransigeance, le jusqu'auboutisme, l'extrémisme, l'intolérance religieuse, la surenchère syndicale et l'esprit corporatiste au détriment de l'intérêt général. On a également peur pour notre économie qui, fragilisée, ne pourra procurer les moyens de lutte contre le chômage et les inégalités. Ethique et religion L'état démocratique ne peut l'être qui s'il respecte toutes les religions et autorise leurs membres à assurer leur culte dans l'ordre et la liberté. La «querelle» sur la laïcité est stérile et doit être abandonnée car elle est due à une incompréhension des choses. La laïcité n'étant pas l'athéisme, elle s'applique à un système d'organisation politique, alors que celui-ci concerne les individus. L'Islam, dans la mesure où il autorise la pratique des autres croyances, répond en fait aux exigences de la laïcité. Le Prophète lui-même avait composé avec les juifs de Yathreb et une délégation de ses compagnons était reçue par l'empereur chrétien de l'Ethiopie. Les valeurs d'une religion ne doivent pas exclure les valeurs universelles et la foi doit être strictement personnelle. L'Islam est une œuvre divine, la république une œuvre humaine. Vouloir politiser l'Islam est réducteur pour cette belle religion. Ethique et politique Au niveau politique, on craint les déséquilibres entre les forces vives de la nation, l'absence de dialogue entre elles et le peuple et qu'en fin de compte la révolution ne soit parvenue qu'à éliminer les trois dernières lettres du mot «dictature» pour ne garder que les dictats de toute part. Les partis politiques doivent appeler à l'entente nationale, à la concorde, au travail et à la vigilance. Elle doit s'en tenir aux faits et actes avérés commis par les acteurs de l'ancien régime. Les opinions politiques, les prises de position quelles qu'elles soient doivent être permises. Fini le temps des procès politiques. Dans la révolution démocratique, la justice est républicaine. L'éthique politique et managériale requiert dans ces moments difficiles que traverse le pays une élévation de l'esprit et du cœur. Par ailleurs, on ne peut parler d'éthique sans évoquer la question de financement des partis politiques. Cette délicate question doit être portée à la connaissance du grand public. Un recours à divers instruments juridiques relatifs à la surveillance des finances, la publication des donateurs et l'obligation pour les partis de publier leurs comptes financiers est nécessaire. Les partis politiques sont tenus de respecter leurs électeurs en leur proposant un discours clair et porteur. Le double langage, le discours qui change au gré des interviews et des circonstances irrite les électeurs qui sont plus que jamais vigilants. Il ne faut surtout pas sous-estimer la capacité du peuple de détecter l'absence de sincérité. «La sincérité a ses accents propres qui ne trompent pas. Le mensonge aussi. Le cœur de l'homme a l'intuition du vrai et du faux», disait Bourguiba à Métlaoui en 1956. K.F. *(Ingénieur à la retraite)