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Les Lumières revigorées, ou la réponse à l'exacerbation des idées et attitudes obscurantistes
Philosophie - Entretien avec Olivier Bloch (II)
Publié dans La Presse de Tunisie le 23 - 06 - 2010

Deuxième partie de l'entretien avec le philosophe français Olivier Bloch qui, dans la première, a évoqué pour le lecteur l'épisode d'un canular dont il est l'auteur en éditant de fausses lettres que Descartes aurait écrites… à son chat, mais qui ont donné lieu à des méprises malgré le caractère évident de la plaisanterie. Le spécialiste des courants matérialistes de l'Antiquité et de l'âge classique qu'est O. Bloch nous avait aussi parlé de Molière : «Les philosophèmes peuvent servir effectivement chez lui à produire du comique, et conduit du coup à s'interroger sur ce qu'il en est du comique en général… »
Cette seconde partie, plus « sérieuse », s'attarde sur les Lumières, mais aussi sur la Révolution française.
Je voudrais aborder avec vous une question qui me passionne et à laquelle vous avez consacré beaucoup de recherches, celle des Lumières.
Qu'évoque en vous la notion des « Lumières radicales » ?
Celle (Radical Enlightment), bien sûr, des livres qui l'ont lancée et en portent le titre : celui de Margaret Jacob en 1981, et celui de Jonathan Israel en 2001, publié en traduction française peu d'années après.
Ce titre fait du reste écho (est-ce un hasard ?) à celui d'un ouvrage de G.H. Williams, publié à Philadelphie en 1962 sur The Radical Reformation, lui-même objet de controverse chez les spécialistes de ce domaine-là.
L'intérêt des deux livres est, bien sûr, de mettre l'accent sur des auteurs et aspects trop souvent négligés dans l'historiographie des Lumières, de mettre au jour la diversité des options qui caractérisent les protagonistes des Lumières et les courants auxquels on peut les rattacher, leurs clivages, voire leurs contradictions.
Ils le font chacun à leur manière, celui de Margaret Jacob cherchant à faire valoir en particulier le rôle des milieux et auteurs francs-maçons dans ce radicalisme, celui de Jonathan Israel centrant son étude sur Spinoza et le spinozisme, avec une documentation d'une richesse considérable sur tous les milieux intellectuels, courants de pensée, et modes d'expression et de diffusion qu'il examine dans l'Europe entière, ce qui en fait un outil de travail de tout premier plan pour l'historien des idées.
Je suis toutefois porté à penser, quant à moi, et je ne suis pas le seul, que, comme c'était le cas de l'ouvrage de Margaret Jacob, la conceptualisation n'est pas à la hauteur de l'investigation, et que l'historien de la philosophie risque de rester sur sa faim. Je pense en particulier que le concept de spinozisme se ramène souvent à une étiquette recouvrant toutes sortes de marchandises, de même que celui de radicalisme, dans la mesure où il tendrait à conjoindre des orientations philosophiques, comme l'athéisme et le matérialisme, et des options politiques, comme l'esprit républicain et démocratique. Or dans nombre de cas, ces prises de partie sont, pour le moins, loin de coïncider : pensons au cas de l'athéisme déclaré de d'Holbach, penseur politique assez modéré, confronté au cas du radicalisme politique de Jean-Jacques Rousseau, déiste résolu… A tout prendre, le seul exemple vraiment convaincant d'une telle conjonction serait celui du curé Meslier, athée, matérialiste, et révolutionnaire, voire communiste, à la fin du siècle de Louis XIV et au temps de la Régence, ce qui ne me paraît pas de nature à se fier à une catégorie comme celle des Lumières radicales.
Comment expliquer l'engouement encore persistant pour les Lumières?
Je dirais, plutôt que « encore persistant », engouement revigoré et renouvelé, et ce, du fait même, pour répondre à votre question, du retour et de l'exacerbation des idées et attitudes obscurantistes, comme on disait il y a un ou deux siècles, contre-révolutionnaires et réactionnaires, auxquels les hommes de raison et de progrès sont aujourd'hui confrontés un peu partout dans le monde, et sur toute sorte de plans : je pense notamment à la résurgence des étroitesses religieuses et communautaires, avec l'intolérance plus ou moins barbare qui les accompagne, et qui constituait l'adversaire commun de tous les hommes des Lumières, quelles que fussent leurs divergences, par ailleurs. En m'en tenant au plan scientifique et philosophique, je citerai ici comme seul exemple de cet état de fait les attaques et les tentatives de dévoiements dont fait l'objet un peu partout aujourd'hui, au nom du créationnisme et du providentialisme, la théorie darwinienne de l'évolution biologique.
Dans le cosmopolitisme des Lumières, tous les hommes sont « habitants du monde ». En sont-ils pour autant, et à parts égales, les « citoyens»?
Il m'est difficile pour ma part d'énoncer à cette question une réponse, qui requerrait une meilleure connaissance des doctrines politiques que celles dont je dispose. Je dirai simplement, à cet égard, que, dans la lignée des théoriciens du siècle précédent, et de leurs inspirateurs antiques, la citoyenneté du monde devrait aux yeux des hommes des Lumières être fondée, comme toute citoyenneté, sur un contrat, au moins tacite, dont je vois mal comment ils auraient pu la postuler.
Comment expliquer que la plupart des auteurs du XVIIIe siècle se soient engagés dans la course aux honneurs académiques ?
Je répondrais d'abord en citant la boutade d'un personnage, journaliste ou politicien corrompu du temps de la IIIe République en France, je crois : «Je me fais payer pour défendre mes idées».
Sans doute s'agissait-il là d'un propos purement et simplement cynique. Mais je pense que, tout cynisme mis à part, et quel que soit le plaisir qu'ils y trouvaient personnellement, la grande majorité des auteurs du Siècle des Lumières (à l'exception, par exemple, de quelqu'un comme Jean-Jacques Rousseau, et encore…), croyaient légitime de briguer les honneurs académiques, et pas seulement académiques, pour contribuer à la diffusion de leurs idées et de leurs valeurs, tant en France qu'en Allemagne ou en Russie par exemple : pensons à la protection que sont allés chercher à Berlin ou à Saint-Pétersbourg les Maupertuis, Voltaire, La Mettrie, ou Diderot etc. auprès de « monarques éclairés » comme Frédéric II ou Catherine II. Après tout, c'est ce qu'avaient tenté à leur manière au siècle précédent, Descartes auprès de Christine de Suède, ou Molière auprès de Louis XIV…
On considère généralement que la Révolution française est l'aboutissement du Siècle des Lumières. Comment expliquer le fait que les Philosophes, dont l'objectif affiché était de créer un monde stabilisé dans des rapports rationnels et avec des formes de lutte codifiées, n'ont pu empêcher les crimes de la Révolution ?
Un mot d'abord de votre dernière formule, « les crimes de la Révolution »: elle est caractéristique de l'époque de réaction, restauration, ou contre-révolution dans laquelle nous nous trouvons depuis quelques dizaines d'années, et elle est à cet égard tout à fait dans l'esprit de notre temps.
Elle évoque, bien entendu, dans cet esprit, la période de la Terreur en France en 1793-1794.
Je me bornerai d'abord à deux remarques à cet égard.
La première, à propos de la notion de « crimes », est que la peine de mort, abolie en France depuis peu d'années, et dans un certain nombre d'autres pays, est toujours en vigueur, et appliquée, dans beaucoup d'autres, la majorité sans doute, en tout cas dans deux des plus puissants et des plus peuplés d'entre eux, les Etats-Unis et la Chine.
En second lieu, et quels que soient les sentiments d'horreur que peuvent, rétrospectivement, inspirer les évènements de cette période, il faut en toute objectivité pour les apprécier prendre en considération le contexte historique dans lequel ils se situent : celui d'une lutte exacerbée entre les révolutionnaires et leurs représentants les plus résolus, et leurs adversaires, intérieurs — pensons à Louis XVI lui-même, dont l'exécution pour trahison a été le point de départ de la période, à son entourage, à l'assassinat de Marat, ou aux insurrections contre-révolutionnaires, non moins violentes, comme celle des Vendéens –, et extérieurs, puisque c'est l'entrée en guerre des grandes puissances européennes contre la France révolutionnaire qui a déclenché ces processus, dont l'enchaînement a conduit aux excès auxquels vous vous référez.
Ces considérations peuvent contribuer largement à répondre à votre question elle-même : ce ne sont pas les idées qui mènent le monde, le ou les processus révolutionnaires échappent pour une large part aux idéaux et intentions des porteurs d'idées du XVIIIe siècle, et l'on y voit en particulier s'y manifester des clivages radicalement ancrés dans leur enracinement social : celui, en l'occurrence, qui, aux représentants de la noblesse éclairée et de la grande bourgeoisie des Lumières «modérées », vite dépassés par les évènements en attendant d'y revenir par la petite porte, oppose les petits bourgeois et doctrinaires rousseauistes de la Montagne robespierriste, et la masse paysanne dont la mise en mouvement, préfigurée par la radicalité à tous égards d'un Meslier, a été le facteur décisif du déclenchement de la Révolution, et a formé l'essentiel de ses troupes.
En l'occurrence, il est utile de rappeler ici la formule d'un personnage anonyme que citait Meslier, pour l'approuver, dans l'Avant-propos de son Mémoire : « Il souhaitait que tous les grands de la terre, et que tous les nobles fussent pendus, et étranglés avec des boyaux de prêtres. Cette expression ne doit pas manquer de paraitre rude, grossière et choquante, mais il faut avouer qu'elle est franche et naïve [entendons naturelle ou authentique : elle dit bien ce qu'elle veut dire– OB] ; elle est courte, mais elle est expressive puisqu'elle exprime assez en peu de mots, tout ce que ces sortes de gens- là mériteraient. »


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