Par Abdelhamid GMATI On ne parle pas beaucoup de l'agriculture, ni de la pêche, alors que le développement régional est à l'ordre du jour. Certes, les pluies diluviennes qui se sont abattues ces derniers jours sur plusieurs localités, particulièrement dans le gouvernorat de Kairouan, ont imposé que l'on s'en occupe un peu, du fait des dommages importants causés à la production agricole. Des mesures ont été prises pour atténuer les méfaits de cette catastrophe naturelle. Pour le reste, les problèmes restent en suspens et les agriculteurs attendent que le développement régional les concerne. Les pêcheurs, eux, sont en colère et ils expriment leur ras-le-bol. De différentes façons. Vers la mi-avril, un sit-in d'un nouveau genre avait fait l'actualité : une quarantaine de chalutiers avaient bloqué le canal de Sidi Youssef à Kerkennah, interdisant au bac de faire sa traversée ordinaire entre cette île et la ville de Sfax. Les propriétaires des chalutiers ayant organisé cette opération exigeaient la suppression de la plus-value sur les carburants et l'augmentation de la prime de subvention pour qu'elle soit égale à celle appliquée au profit des marins-pêcheurs au nord du pays. Ils exigeaient aussi l'application de la loi relative à la couverture sociale et la révision du système du repos biologique. Le ministère de l'Agriculture, sensible à certaines de ces demandes, accorda l'augmentation de la subvention du gasoil au profit des marins-pêcheurs de la région ; une augmentation variant entre 20 et 25%. Les autres revendications devaient être soumises au gouvernement provisoire. L'île de Kerkennah souffre depuis des années de la pollution. Une pollution résultant de travaux de la prospection pétrolière qui avaient débuté depuis une trentaine d'années. Il y a environ un an, un pipeline a été touché, provoquant une pollution qui a atteint les pêcheries de l'île, notamment celles de Mellita et de Oueled Ezzedine. Les pêcheurs ont revendiqué leurs droits à des indemnités auprès des compagnies pétrolières. Sans suite. Ils ont décidé d'occuper la plateforme de production de la TPS (Thyna Petroleum Services), entraînant son arrêt. Les négociations engagées ont abouti dernièrement à un accord stipulant l'indemnisation d'une valeur de 540 mille dinars en remplacement des activités de la pêche, attribuée aux marins-pêcheurs de ces deux localités. Ces deux actions spectaculaires sont significatives de la colère des pêcheurs qui vivent des situations très difficiles, entravant sérieusement l'excercice de leur profession. De Tabarka, à Kélibia, à Kerkennah, à Mahdia, à Gabès ou à Zarzis, tous souffrent de divers maux‑: le prix élevé du carburant, la vétusté de leurs embarcations, le poids de leurs endettements en plus de la non couverture sociale, d'assurances, de la raréfaction de la main-d'œuvre (les jeunes n'étant plus attirés par ce métier difficile et non rénumérateur…Illustration de ce ras-le-bol : «Plus de 400 barques de pêche tunisiennes étaient abandonnées à Lampedusa». Des chalutiers et des barques de pêche qui ont servi à l'immigration clandestine. «Karim I», «Karim II», «Bassam», «Mortadha», «Salah», «Fatma», leurs noms trahissent leur pays d'origine. Les grands armateurs sont jaloux de leurs embarcations et les surveillent jour et nuit. Reste alors les petits armateurs ou des pêcheurs, en grandes difficultés financières, qui ont été acculés à céder leurs barques aux passeurs. L'absence de rentabilité de la pêche explique cette pratique. Pourtant, le secteur de la pêche est important pour l'économie du pays. La pêche participe à la production nationale agricole de l'ordre de 7% et à la hauteur de 18% des exportations des produits agroalimentaires. En 2010, le secteur de la pêche a rapporté à l'économie nationale au niveau des exportations plus de 300 millions de dinars. La production nationale est autour de 120.000 tonnes et le secteur emploie 45.000 permanents et 15.000 occasionnels et assure des revenus indirects à plus de 40.000 personnes (dans les usines de transformation et autres). En tout, ce sont près de 100.000 personnes qui vivent de la mer dans notre pays. Certes, c'est peu pour un pays qui dispose de plus de 1.300 km de côtes et dont l'infrastructure compte 41 ports de pêche, dont 10 sont hauturiers, 22 côtiers et 9 de simples digues-abris». La flotte se compose de 440 chalutiers, 450 de pêche pélagique et de thon (dont 50 thoniers) et de près de 10.000 barques de pêche côtière. C'est peu. Soulignons que le Tunisien est amateur de poisson et en consomme environ 11 kg par an; et il aimerait bien en rajouter. Cela ne vaut-il pas qu'on s'en occupe ? Sérieusement.