Au Palais Kheïreddine, la longue et belle histoire des coffres de bois se raconte en un étrange murmure. Personne, à ce jour, ne leur avait donné droit de parole. Il a fallu attendre l'aboutissement de la longue et patiente quête de Mohamed Messaoudi à travers toutes les villes et régions de Tunisie, pour reconstituer la carte et l'histoire de cet élément essentiel de notre environnement familier. Il y a toute une symbolique qui s'attache aux coffres : coffre au trésor, coffre de mariée, coffre de jouets, coffre à bijoux, coffre à secrets, coffre de pirate, coffre d'Ali Baba, coffre de marin. Ils recèlent un poids de contes et de légendes, et c'est souvent au fond de l'un d'eux que se dénouent les plus belles histoires d'aventures. Celle qu'a entamée, il y a plus de vingt ans de cela, Mohamed Messaoudi, est toute autre. Il partait en quête d'une certaine image incontournable de notre mobilier quotidien. Le plus simple et le plus modeste quelquefois, mais le plus parlant aussi. Du Nord au Sud profond, et des rivages aux contreforts montagneux, il a recueilli cette mémoire éparse que des mains anonymes transmettaient selon ce vocabulaire d'imageries, naïves ou sophistiquées, frustes ou élaborées. C'est de Kairouan que viennent les coffres les plus anciens, inspirés des lambris de la mosquée, et d'influence andalouse. C'est à Tunis qu'ont été enluminés les plus précieux et les plus raffinés, mais ils ont été copiés à Sfax et il est, quelquefois, difficile de démêler l'un de l'autre. Les motifs floraux sont originaires de Kairouan, les dessins animaliers de la côte : Mahdia généralement, quand il s'agit de poissons, El Djem et Bizerte en ce qui concerne les oiseaux. En fait, il a fallu longtemps à Mohamed Messaoudi pour discerner entre les influences, les confluences, et autres appartenances. L'exposition qu'il nous offre au Palais Kheïreddine est une merveille, remarquablement mise en scène, présentant des installations de ces bois séculaires en de grandioses pyramides, et en de subtiles rencontres. Il fait se côtoyer, dans cet espace magnifique, des coffres tout droit sortis des palais des médinas, et d'étonnants petits coffres aux motifs ethniques, rappelant les poteries de Sejnane, issus d'un village de montagne, encaissé, loin des grands passages et dont le mystère demeure entier pour les ethnographes. Et nous avons choisi de laisser le mot de la fin à Ambre, la photographe de cette superbe exposition, dont on nous promet de garder la mémoire dans un livre qui sera un des premiers ouvrages consacrés aux bois peints : «Contempler ces pièces de bois peint, éparses mais plus parsemées, confiées et rassemblées pour la postérité, est un ravissement esthétique et poétique. Ecoutez-les nous livrer les aventures, faites de mille et une énigmes que le destin tisse sur le chemin. Traits et couleurs sont autant de signes, patines, effacements, coups et fatigues, autant d'indices ! Intérieurs, extérieurs se muent, léguant des bribes de contes et légendes humaines. Un voyage sensible dans les interstices du transmissible…. Quels secrets dévoilés ? Quels mystères préservés ? Une tendre alchimie incertaine….».