Par Khaled TEBOURBI Elle tombait à point la victoire de Ons Jabeur, dimanche à Roland-Garros. On déprimait sous le choc de Metlaoui. On en était confus, penauds. Pour beaucoup, ne serait-ce qu'à distance, et sans que ceci n'ait foncièrement rapport à cela, cette victoire nous a rétablis à nos propres yeux, elle a requinqué un moral et une confiance au plus bas. Elles nous a, surtout, rappelé à la fête, à la joie. «Depuis le 14 Janvier nous n'avons pas organisé un seul concert pour fêter la Révolution», observait l'autre soir (Nessma TV) Me Abdelaziz Mzoughi. On ne pouvait si bien dire. La fin de la dictature, nous la vivons, en fait, dans les tensions sociales, dans la dramatisation politique, dans l'intrigue politicienne, dans les débats oiseux qui n'en finissent jamais et maintenant, depuis Le Kef, depuis Kasserine, depuis Metlaoui, dans les conflits tribaux, la discorde et les défis incessants à la loi. Pas un qui ait songé à se dérider. Pas un qui ait songé à regarder la Révolution par son bon côté. Pas un qui ait eu dans l'idée que nous y gagnons tous : liberté de parole, liberté d'opinion, d'association, et encore plus précieux, la perspective proche, plausible, probable d'une démocratie. Pas même l'élite, cette élite éduquée et clairvoyante qui sait, elle, où nous sommes et où nous étions. A fortiori le bon peuple, le gros des citoyens, que ce pourtant salutaire bond historique a pris au dépourvu, livré d'emblée, livré encore, à lui-même, laissé quasiment dans l'ignorance de ce qui lui arrive, ballotté entre gouvernements, commissions et instances de toutes sortes, tantôt courtisé, tantôt voué à l'ombre. Pire : incapable, à ce jour, d'affronter, en connaissance de cause, l'épreuve décisive d'une élection. Un chemin de bravoure Elle tombe à point, oui, cette somptueuse victoire de Ons Jabeur à Roland-Garros. Pour panser nos blessures, pour nous guérir de nos bavures, pour nous réconcilier avec nous-mêmes, pour nous rappeler à la fête et à la joie, mais aussi, pour nous apprendre à mesurer le chemin accompli. Avant de tutoyer le niveau mondial, Ons Jabeur est partie de loin, de rien. Elle le soulignait, en toute innocence, lors de la conférence de presse : ce grand chelem junior, elle en rêvait de longue date, et maintenant qu'elle y est parvenue, elle se dit simplement fière de ce qu'elle a réalisé. Ce pays a eu, lui aussi, son chemin de bravoure. Il a traversé les affres de la colonisation, il s'est construit un Etat, une aura, il a subi le paternalisme autoritaire de Bourguiba, il a connu l'oppression et l'humiliation sous Ben Ali, mais sans jamais y perdre son génie ni son âme, sans douter un instant de son émancipation et de ses capacités de renaissance et de progrès. Ce pays est à l'image de ses enfants prodigues, à l'image de Ons Jabeur, à l'image de Gammoudi, de Mellouli, à l'image de ses cadres, de ses cerveaux, à l'image de tous ses champions. Il est parti de loin, de rien et, en dépit des colons, des tyrans, en dépit des oppressions et des spoliations, le voilà libéré de ses chaînes, maître de ses moyens, de son destin, le voilà à la pointe des révolutions arabes, montré en exemple partout, acclamé et soutenu par les grands de ce monde. A la différence de Ons Jabeur, à la différence de ses hommes illustres et de ses champions, il lui manque, toutefois, d'en être fier, et d'en avoir justement et pleinement conscience. Il lui a manqué pendant ces cinq premiers mois de la Révolution la confiance et la volonté de ceux qui savent estimer leurs acquis et aspirent toujours à aller de l'avant. Contre nature, contre culture Il lui a manqué, sans doute encore, cet idéal de l'Union sacrée qui a, de tout temps, accompagné ses réussites. Etrange que presque parvenus à bon port, nous ayions, tous sans exception, gouvernants, peuple, élite, choisi de sacrifier l'intérêt commun pour le chacun pour soi. Etrange que des partis politiques préfèrent se faire élire plutôt que de défendre les valeurs et les principes d'une Constitution. Etrange que des leaders qui ont souffert de la prison et de l'exil préfèrent s'accrocher à des dogmes religieux, ou à de vagues revendications identitaires, plutôt que de signer un pacte républicain. Etrange que des ouvriers fassent grève au risque de perdre leurs emplois. Etrange que des Tunisiens mettent en danger les commerces d'autres Tunisiens. Etrange que l'on occupe, sans droits, la propriété d'autrui. Etrange que l'on confisque des autoroutes, que l'on s'empare impunément de la voie publique, que l'on abandonne des villes entières aux ordures et à la gabegie. Etrange, mais est-ce irrattrapable ? Tout cela n'est ni dans nos mœurs ni dans notre culture. Encore moins dans notre histoire. Attendons alors. Espérons.