Par Abdelhamid Gmati Grosse polémique autour des derniers chiffres sur la pauvreté et le chômage, tels qu'annoncés par le ministre des Affaires sociales. Le taux de pauvreté atteindrait près de 24,7% de la population, soit près de deux millions et demi de Tunisiens. Le ministère a pris en considération «les dossiers de la population suivies par ses structures locales, régionales et nationales et ceci après étude de terrain et conformément à des critères et conditions établis par des textes juridiques», c'est-à-dire, les fichiers «pauvreté» (revenu annuel par personne inférieur à 400 dinars soit 67 97.000 personnes), le fichier «soins à tarifs réduits» (202.000 familles, dont la taille est de 5 membres ou plus et ayant un revenu inférieur au salaire minimum garanti soit 1.291.000 membres), et les fichiers «des pensionnés des caisses de sécurité sociale» (familles dont la pension est inférieure au salaire minimum garanti (Smig ou Smag) et dont le nombre est égal à 412.000 soit près de 618.000 membres). Le total est de 24,7 % de la population totale. La polémique porte sur la méthode utilisée qui aboutit à des chiffres «exagérés» et on propose d'autres méthodes. En fait cela importe peu. Ce qu'il faut retenir, c'est qu'il y a de la pauvreté en Tunisie et quel qu'en soit le taux (bas ou élevé), c'est intolérable. Et d'abord, pourquoi y a-t il de la pauvreté après plus de 50 ans d'indépendance et une multitude de plans de développement et d'investissements? Les homme politiques, les économistes donnent chacun ses explications selon son idéologie et ses orientations. On parlera du système libéral, de la mondialisation, des mauvais choix, des orientations socio-économiques, des investissements préférentiels, de la marginalisation des régions, de l'omniprésence de l'Etat, du système bancaire etc. Là n'est pas notre propos. En période de révolution, il est opportun de parler de ce que l'on doit changer et surtout de ce que le peuple, auteur de cette révolution et avide de prendre ses destinées en mains, peut faire. Ronald Reagan, ex-président des Etats-Unis, déclara un jour que les «pauvres sont pauvres parce qu'ils le veulent». Tollé général dans son pays et ailleurs. Comme tout Américain, il était convaincu du fameux «rêve américain» qui veut que «n'importe qui peut réaliser ses rêves et devenir millionnaire». Mais sa politique, dénommée Reaganomics, en partie fondée sur la théorie moderne de l'offre, chercha à stimuler l'économie par des réductions d'impôts massive, mais eut des conséquences désastreuses sur le plan social (près de 35,9 millions de pauvres selon les critères américains soit 867 dollars US par personne et par mois en 2006, chiffres également contestés, comme les nôtres aujourd'hui). Mais sa remarque avait du vrai dans le sens qu'elle faisait référence à l'initiative individuelle. Il est évident qu'une économie nationale dépend de l'initiative privée. Alors, nos pauvres, le sont-ils parce qu'ils le veulent ? Sommes-nous paresseux et dénués de tout esprit d'initiative, d'innovation, au point de choisir d'être pauvres? Bien sûr que non. La majorité de nos hôteliers étaient fauchés au lendemain de l'Indépendance. Ils ont fait des études, grâce aux options de l'Etat et à ses opportunités, puis ils se sont lancés dans l'hôtellerie et le tourisme. Nos chefs d'entreprise, industriels dans plusieurs domaines, sont aussi partis de zéro et ils ont fait preuve d'initiative. D'autres, dans le commerce, les services, ont fait de même. Deux exemples, tout récents et très modestes : - Faouzia, diplômée en lettres anglaises, excédée par son chômage, développe un projet de publicité ou plutôt d'agence de publicité ; elle projette de contacter des clients pour leur proposer de publier leurs annonces et autres campagnes sur les colonnes des journaux. Mais il y a un premier «hic» : comment convaincre les médias d'accepter les placards de ses clients ? Elle a la chance d'avoir des recommandations. Deuxième «hic» : pour avoir son agence, il lui faut faire face aux exigences de l'administration ; tout y passe : le omda, la municipalité, le délégué, le gouverneur, la patente etc. Trois mois et un tas d'interventions et de paperasses (un moment elle a craint qu'on lui demande le certificat de mariage de sa mère). Ouf ! Elle a eu sa patente. Entre-temps, elle ne cessait de payer. Puis, après 3 semaines, visites du fisc et de la CNSS : elle expliqua qu'elle n'avait pas commencé à travailler ; peu importe, il fallait qu'elle paie le minimum. - Mohsen, ayant un père sans travail, une mère à la maison et un frère «voyou», essayait de subvenir aux besoins de la famille. Dès 7h du matin, il traînait sa petite charrette et allait offrir ses cacahuètes et autres friandises. Il le faisait chaque jour, usait ses souliers et ses savates et gagnait sa vie. Un jour, il s'adressa à un client sympathique pour lui demander de l'aider à obtenir une autorisation de «taxiste». Le monsieur complaisant fit le nécessaire et lui obtint le précieux «papier». Mohsen travailla quelques mois comme chauffeur avec un propriétaire de taxi. Puis il alla voir son «bienfaiteur» pour lui demander de l'aider à acquérir une voiture «taxi». Ce fut fait. Mohsen devint propriétaire et engagea avec lui des employés. Un beau jour, il se maria et tout se développa ; il fit l'acquisition d'un petit lot de terrain et se mit à construire un petit logement etc. Tout en subvenant aux besoins de ses parents… Deux exemples de jeunes Tunisiens, entreprenants, qui refusent la pauvreté. Et ils s'en sortent. Ils ont refusé d'être pauvres et ils seront peut-être riches. Car qu'est-ce qu'un riche ? Un pauvre qui a réussi. On relèvera que dans nos deux exemples, il y a eu des obstacles. Et ils ont eu la chance d'avoir des «intervenants», «des connexions», ce que nous appelons des «épaules». D'autres l'ont fait et le font. Alors, qui veut être pauvres ? Personne. Le regretté Bouazizi ne le voulait pas. Mais, on ne l'a pas aidé. Nous avons un Etat omniprésent, et qui multiplie les obstacles. Pourquoi toutes ces autorisations et ces papiers ? Pourquoi faut-il passer par les omdas, délégués, gouverneurs, municipalités et autres «patentes» pour développer un petit projet, un petit commerce ? Autant d'opportunités de compromissions, de passes droits, de «rachouas». Laissons faire, laissons les gens innover, travailler, sortir de la misère, sans vouloir tout contrôler. Pourvu qu'ils paient leurs impôts et leurs taxes. On leur demandera des garanties, s'ils demandent des prêts ou des financements. Et là aussi, il faudra être innovant.