Par Soufiane Ben Farhat Les partis politiques sont prévenus. Des études et enquêtes sérieuses démontrent que deux Tunisiens sur trois ne savent pas pour qui ils vont voter, lors des élections pour la Constituante prévues le 23 octobre prochain. Soit. L'inflation partisane ne saurait forcer les adhésions communes. Et les intentions de vote demeurent toujours une énigme. Sociologiquement parlant, cette donne est digne d'un examen approfondi. Tout ce qui brille n'est pas or. On le sait depuis toujours. Et puis, lorsqu'on s'adonne à la politique, la moindre des vertus est d'être humble. C'est-à-dire d'accepter une perpétuelle autocritique et de se livrer au besoin à la ravageuse sentence de l'opinion commune. Il est vrai que la Révolution du 14 janvier 2011 a ouvert une voie royale devant la constitution des partis politiques sous nos cieux. La chape de plomb des dispositifs régaliens de régulation de la vie politique a sauté. Brutalement et sans appel. Les énergies libérées donnent lieu à un formidable élan d'investissement politique. Des mouvances, hier encore interdites ou réprimées, s'expriment au grand jour. Des sensibilités nouvelles investissent la place. Des fleurs fleurissent, des écoles rivalisent. Le paysage politique a changé. La parole libérée et la mue des médias donnent la mesure du changement intervenu. On en dresse le constat chaque jour. Seulement, l'illusion n'est pas la vérité. Elémentaire mon cher Watson. Aujourd'hui, notre scène politique compte plus d'une centaine de nouveaux partis. Et il s'en rajoute chaque jour. Le ministère de l'Intérieur annonce périodiquement la légalisation de nouvelles formations politiques. Certaines initiatives qui font parler d'elles comptent même une majorité de partis non reconnus ou en instance de légalisation. La donne nouvelle enfante des mécanismes nouveaux. Pour les observateurs avertis, c'est inévitable. C'est le lot des révolutions, leur corollaire obligé. Au Portugal, en Allemagne ou ailleurs, certaines révolutions avaient enfanté jusqu'à quatre cents nouveaux partis. Comme dans toute irruption soudaine, les partis nouveaux nagent à la surface de la lame de fond. Et puis après, bien après, ça se décante. Le mouvement inverse se met en place. Certains partis politiques végètent, d'autres coulent ou périclitent. Les plus avisés de leurs dirigeants s'associent dans de nouvelles formations, comme autant de chapelles de subsistance. Déjà, sous nos cieux, certains partis nouvellement constitués connaissent leurs premiers craquèlements. Divisions, schismes, dissidences, épurations…Les journaux en font état désormais. C'est, dans une certaine mesure, dans la logique des choses. Les partis étant des formations où les opinions priment. Seulement, le foisonnement des nouveaux partis n'exclut guère la vocation purement fantaisiste de certains d'entre eux. On peut même penser que l'octroi du visa à certains partis fantaisistes n'est guère innocent. Une manière de noyer le poisson en somme. En fin de compte, trois dangers principaux guettent la constellation partis. Le premier, c'est la déconsidération sans appel aux yeux de l'opinion. Comme lorsque le commun des Tunisiens se met à croire à l'inutilité, voire à la forfaiture ou à l'inconsistance des partis politiques. Le deuxième, c'est le syndrome des sectes traquées. Des partis en mal d'assise populaire –c'est-à-dire d'efficience politique- se transforment inévitablement en sectes. Avec leur cortège de gourous, de rituels secrets, de propension à la manipulation et de dérives tues. Le troisième danger, c'est l'émergence des indépendants. En fait, plus que toute autre, la nature politique n'accepte pas le vide. La politique, les élections signifient en fait un appel d'air. Elles aspirent les énergies et mobilisent les vocations militantes. D'une manière ou d'une autre, en démocratie ou en transition démocratique bien évidemment, la souveraineté populaire s'exprime, trouve sa voie. Avec ou sans partis représentatifs. Aujourd'hui, la classe politique tunisienne sait à quoi s'en tenir, les atouts dont elle dispose et les périls en la demeure. Elle le sait déjà, en politique, on n'est jamais si bien desservi que par soi-même.