Par Soufiane Ben Farhat Les dés sont jetés. Il va falloir passer le Rubicon. Les partis politiques, ainsi que tous les candidats, sont prévenus. Les élections de l'Assemblée constituante auront lieu le 23 octobre prochain. Le bras de fer a enfin connu son dénouement. Franchement, on aurait bien pu s'en passer. Çà et là, les protagonistes ont remué ciel et terre pour donner enfin dans un surprenant unanimisme. Il est vrai que, sous nos cieux, les échanges véritablement démocratiques sont nouveaux. Quelques écarts d'amateurs sont dès lors acceptables. Toutefois, il faudra ériger les règles du jeu en standard. La démocratie, ce n'est guère les sautes d'humeur et autres réactions épidermiques. On en a eu quelques fâcheux exemples ces derniers temps. Les dialogues de sourds fusaient. Quelques dirigeants de partis politiques, réunis autour de plateaux télé, s'abîmaient volontiers dans d'interminables monologues. Chacun se présentait comme le Messie, le Sauveur, le politique par excellence ayant le secret de la panacée de tous les maux. C'est franchement risible parfois. La hargne à s'autoproclamer héros tranche net avec la prestation tant sur le contenu que du point de vue forme. Il y a visiblement un grand problème, à la fois didactique et communicationnel. Les Tunisiens ne sont pas habitués au spectacle des ténors politiques rivalisant de stratagèmes pour focaliser l'attention publique. Ils les regardent avec une curiosité non feinte et un intérêt certain. Cela dure depuis quelques mois. Puis ils se mettent à ausculter les personnages avec un autre regard. Et ils se rendent compte de l'insoutenable légèreté des êtres. La plus belle fille du monde ne peut donner que ce qu'elle a, dit-on. A fortiori s'il s'agit d'hommes politiques. Mais l'art du don se cultive. Surtout lorsque l'image et l'impression font partie du fonds de commerce. Parce que la politique, c'est aussi une affaire de fonds de commerce. Ne nous leurrons guère là-dessus. Quelques mois nous séparent du 23 octobre. C'est-à-dire à peine une goutte dans l'océan. Jusqu'ici, il y a eu de sérieux clivages sur le report ou non de la date de l'élection de la Constituante (prévue initialement le 24 juillet). Grosso modo, ils ont opposé ceux qui s'estiment déjà prêts — le parti Ennahdha et ses alliés en prime — à ceux qui concèdent leur impréparation, fût-ce du bout des lèvres. Maintenant, ce débat n'est plus de mise. Chacun doit retrousser ses manches. Et ne compter que sur ses propres forces. En fait, report ou pas, les rapports de force ne vont guère changer en quelques mois. A moins d'un fait exceptionnel, ou de quelque concours subit de circonstances. C'est inévitable. Il y a un potentiel de sympathie ou d'irradiation plus ou moins statique auprès de l'opinion vis-à-vis des partis politiques. La seule différence viendrait d'outsiders. De partis politiques jusqu'ici peu bavards ou d'indépendants. En grande partie, les jeux sont faits. Présumons toutefois d'une nouvelle donne. Le report de la date de l'élection de l'Assemblée constituante a créé de nouveaux appétits. Beaucoup de personnes se sont avisées, ces dernières semaines, de créer des partis politiques. A trop se disperser dans la contemplation du décor, ils semblent se dire : "Et pourquoi pas moi tant que nous y sommes" ! La démocratie est ainsi faite. Elle suppose toutes les transformations, tous les nivellements, tant par le haut que par le bas. N'en déplaise aux puristes qui considèrent que la politique est une affaire de professionnels. Soit. Mais les débuts sont toujours ainsi. L'ordre est le plaisir de la raison mais le désordre est le délice de l'imagination. Et tous les commencements interpellent l'imagination la plus débridée. En Tunisie, ici et maintenant, ce n'est guère l'imagination politique qui fait défaut. Par-delà tout jugement de valeur. Bien évidemment.