Par Jawher CHATTY Sauf à supposer que l'indice des prix connaît lui aussi des périodes de soldes, sauf à douter des efforts de maîtrise de l'inflation, il serait difficile de comprendre la dissonance entre les données officielles en la matière et la perception qu'en ont les ménages tunisiens. Il ne manque en l'occurrence guère de voix pour déclamer la vie chère, ou pour être plus juste, de relever le renchérissement du coût du panier quotidien. Dès lors, de deux choses l'une : ou bien les chiffres officiels sont erronés ou bien alors les ménages sont collectivement frappés de myopie face à la valse des étiquettes. A vrai dire, l'une et l'autre de cette alternative sont partiellement tronquées. Les chiffres officiels ne font en effet que traduire l'évolution des prix à la consommation, l'indice des prix à la consommation n'étant que la moyenne des indices élémentaires des prix d'un ensemble de familles de produits suivis tous les mois. Cette moyenne tient en principe compte du poids de chaque famille de produits dans la consommation des ménages. Comme l'indice des prix à la consommation mesure l'évolution des prix d'un ensemble de biens et de services représentant l'ensemble des ménages, les poids utilisés correspondent à la structure de consommation moyenne. Mais le consommateur "moyen" n'existe pas, chaque ménage a sa propre structure de consommation, qui diffère plus ou moins de la structure générale : le loyer absorbe une part plus importante du budget des ménages locataires, les dépenses de santé pèsent en général plus lourd dans celui des personnes âgées... Selon le ministère du Commerce, l'indice des prix a atteint, au cours du premier semestre de 2011, 0.4%, préservant ainsi son rythme par rapport à la même période de l'année 2010 cependant que le taux d'inflation est estimé à 3.8 % .Quel crédit peut-on donner à ces chiffres et quelle tendance de fond traduisent-ils au juste ? Les chiffres ont certes le mérite de la clarté mais on peut leur faire dire tout et son contraire. La progression des prix telle que mesurée par le glissement annuel de l'indice des prix à la consommation est assez volatile. De même, le fait que l'alimentation soit le groupe de produits le plus fluctuant fait de l'inflation hors alimentation un indicateur plus crédible. Le fait en sus de comptabiliser les produits alimentaires subventionnés peut sérieusement biaiser les chiffres. Sans doute, l'indicateur parfait n'existe pas et c'est probablement en examinant le comportement d'une multitude de mesures différentes que l'on peut cerner au mieux l'évolution des prix à la consommation. Il appartient à ce titre à l'Organisation de défense du consommateur (ODC) de mieux éclairer celui-ci dans les méandres des statistiques. S'agissant de la valse des étiquettes ressentie par les ménages et du renchérissement du coût de la vie, un premier facteur d'explication tient au divorce croissant entre les produits high-tech, les ordinateurs et l'électroménager, dont les prix baissent très vite, et les produits traditionnels, alimentaires notamment, dont les prix montent rapidement à la suite probablement du renchérissement spectaculaire des cours des matières premières. Comme on achète les premiers une fois de temps en temps et les seconds régulièrement, il est possible que les ménages ne retiennent que l'inflation de ces derniers. Une forme de myopie serait ainsi responsable du sentiment d'appauvrissement des ménages. L'écart entre les produits alimentaires et les produits high-tech manifeste toutefois une autre différence, plus fondamentale, que la fréquence des achats. Les produits alimentaires relèvent de ce qu'on appelle des "dépenses contraintes". Du point de vue de l'analyse économique, ce sont celles qui sont "inélastiques aux prix", celles qu'on ne peut pas modifier même lorsque leurs coûts augmentent. Lorsque le prix du lait augmente, on n'a guère de choix alternatif, le pouvoir d'achat s'en ressent. La hausse du prix des matières premières, qu'on croyait limitée à l'énergie, se propage à l'ensemble de ce qu'il faut bien appeler les ressources rares, produits agricoles inclus, et tend à neutraliser les effets positifs de la baisse du prix des biens manufacturés sur le pouvoir d'achat. Cependant, l'inflation des matières premières n'est pas seule responsable de la hausse du prix des céréales, mais elle résulte aussi des effets d'une situation de quasi entente dans le secteur de la distribution. C'est à ce niveau sans doute qu'il faudrait agir. Là aussi, le rôle de l'ODC n'est pas négligeable. Il revient, cependant, et en définitive, au consommateur lui-même d'être responsable, et vigilant. Il lui appartient surtout de mieux consommer pour pouvoir mieux dépenser. Les produits de haute technologie dont les prix baissent très vite ne rendent pas meilleur marché la vie ordinaire. Ils créent de nouveaux besoins, sans donner directement aux consommateurs les moyens de les satisfaire.