Par Soufiane Ben Farhat Révolution ou pas, on n'est pas sorti de l'auberge sur certaines questions. Deux faits récents en témoignent. D'un côté, l'Union tunisienne de l'agriculture et de la pêche (Utap) a exprimé, vendredi, des réserves sur les chiffres officiels publiés sur la récolte céréalière de 2011. Elle a estimé que les chiffres avancés dans ce domaine "sont fondés sur des estimations erronées". La veille, le ministère de l'Agriculture et de l'Environnement avait annoncé que 9 millions de quintaux de céréales ont été collectés, la récolte étant estimée à 20 millions de quintaux. D'un autre côté, une rencontre a mis en relief l'inconsistance, voire le caractère tendancieux, de certains sondages d'opinion dont les instituts foisonnent désormais sur la place. Ici et là, il y a, à la base, un problème de crédibilité. Parce qu'on en est toujours à la phase déclamatoire à l'emporte-pièce des données statistiques. D'ailleurs, la question des statistiques se pose avec acuité un peu partout dans le monde d'aujourd'hui. Qu'on se souvienne. L'Union européenne avait exigé des autorités grecques la mise en place d'une instance indépendante des statistiques. Les chiffres et données avancés par le gouvernement d'Athènes avaient largement induit en erreur, des années durant, sur la réalité de l'économie grecque. Chez nous, c'est le même topo, sinon pire. Certaines parties statisticiennes ne veulent toujours pas revenir à de meilleurs profils et prédispositions scientifiques. Elles persistent et signent, cultivent le flou, maintiennent les ingrédients du brouillard et de l'esbroufe. Des bureaucrates en mal de légitimation ou des politiciens en manque d'argumentaire s'en inspirent. Et cela débouche sur des situations véritablement anachroniques. A en croire que l'esprit même de la révolution n'est pas passé par là. Et c'est quoi en fait une révolution, sinon la mise à l'épreuve des faits, c'est-à-dire de la vérité ? La vérité est, par essence, révolutionnaire. Parce que traduisant l'état des choses sans atours, ni fioritures et prismes déformants. Or, qu'en est-il dans les faits ? Les discours en trompe-l'œil sont toujours, hélas, de mise. Cela n'engage pas que les seules parties officielles. Même quelques instances partisanes, associatives et civiles s'y mettent. Cela relève d'une sous-culture viciée à la base qui a visiblement la peau dure. La révolution, c'est aussi l'absence de normes, certes. Mais cela n'autorise guère la tromperie. Laquelle, en matière politique, peut s'avérer lourde de conséquences. La question des sondages d'opinion en est témoin. Jusqu'ici, des résultats de sondages, concoctés à tort et à travers, ont été balancés à tout vent. En matière d'audimat par exemple, les données faisaient dresser les cheveux sur la tête. La chaîne officielle Tunis7 était toujours donnée en pole position avec des taux dépassant les 90%, alors que tout le monde savait qu'il n'en était rien. Au-delà de l'audimat, un peu partout, des chiffres étaient préparés dans les couloirs et cabinets ministériels à des fins légitimatrices. Ils représentaient en quelque sorte les travers d'une espèce de propagande inversée. Chassez le naturel préfabriqué, il revient au galop. Aujourd'hui, on n'est guère loin de ces pratiques. Avec une différence fondamentale : si auparavant une à deux instances s'adonnaient aux sondages apprêtés, aujourd'hui ils sont plusieurs à s'y investir. Chacun clamant sa probité et sa bonne foi, on ne s'y retrouve plus. Or cela ne saurait continuer. Il s'agit bien d'une question d'ordre public. Il faut que les autorités s'y investissent pleinement. D'abord, en organisant le secteur. N'est pas sondeur qui veut. Ensuite en régulant et validant minutieusement les différents sondages de manière à ne pas tromper ou manipuler l'opinion publique. Halte aux douteux sons de cloche. C'est une question impérieuse. Tout laxisme en la matière peut s'avérer fatal. Et Dieu sait les dangers encourus par une opinion qui se considère, à tort ou à raison, lésée.