Spontanée et populaire, ainsi fut la fête de «baba aoussou», dont les cloches sonnaient chaque 24 juillet, la veille de la fête de la République. Cette tradition propre à la région de Sousse a commencé à y être célébrée deux ans après l'indépendance. De quoi devenir un rituel sacré, rassemblant, chaque année, les adeptes à son fameux carnaval. Mais comme toute autre chose significative, il a vu sa vocation première, pendant le règne de Bourguiba et celui de Ben Ali, dévier pour devenir un défilé glorifiant leurs accomplissements. Mais comme l'espoir n'est jamais loin, une deuxième chance a été offerte à «baba aoussou», après le dernier 14 janvier. Là aussi, l'initiative a été confiée aux jeunes. Avec l'accord de la municipalité, ils ont lancé sur le réseau social facebook un événement invitant les gens à «reconquérir cette fête et à lui rendre sa grandeur». Le rendez-vous a été fixé à 19h00, devant la maison de jeunes de Sousse, «pour refaire le parcours du vieux carnaval, avec le maximum de monde possible». Sur place, c'est la surprise. Des "carnavaliers" de différentes générations ont commencé à affluer. Deux mots d'ordre rythment la marche du carnaval : se déguiser et faire du bruit. Des pirates, des marins, des amérindiennes et des jeunes en «malya» (habit traditionnel de l'intérieur tunisien) ont avancé ensemble dans la joie et la bonne humeur. Des chants spontanés, augurant le retour de «baba aoussou», accompagnaient des percussions de toutes sortes : tabla, tambour, darbouka, etc. Sans oublier les percussions de rue où, tout comme pour les habits, chacun use de son imagination. Le résultat donne des canettes de soda que l'on tape l'une contre l'autre, des bouteilles en plastique remplies de graines d'haricot. Tout est permis, ou presque ! Tout au long de l'avancée du carnaval jusqu'à la corniche de la plage Boujâafar, on voyait que cette fête manquait aux habitants. Les klaxons n'ont pas cessé. Beaucoup découvraient «baba aoussou» pour la première fois. Des touristes, ravis autant qu'étonnés, suivent la procession. Avec les tristes circonstances en Libye, de nombreux Libyens ont trouvé refuge dans cette ville qui est devenue, même pour quelque temps, la leur aussi. Des dizaines de personnes ont rejoint la foule au fur et à mesure. Les organisateurs ne pouvaient pas espérer mieux pour cet événement «test», disent-ils. «Nous avons su que, cette année, aoussou, l'officiel, n'allait pas avoir lieu, alors nous avons décidé de prendre l'initiative», explique Sofiène Ayachi. Avec ses amis, ils ont déjà organisé une «9oum tsa7er party» (lève-toi pour le repas d'avant-jeûne), ramadan dernier à Sousse. Quant à «aoussou party», facebook a fait son travail, comme l'affirme Zouhaïr Ben Zine, père de trois enfants qu'il a ramenés, déguisés, pour participer au carnaval. Depuis sa plus tendre enfance, cet homme a été témoin de l'évolution du carnaval. «Avant d'être politisé, le carnaval était une manifestation purement artistique et culturelle. Les chars étaient décorés par les artistes de la région. Ils construisaient des poupées géantes, etc.», explique-t-il. Et d'ajouter : «Maintenant, il est temps que cette fête redevienne le grand défouloir qu'elle était, et qu'on donne la chance aux jeunes pour l'organiser». A voir l'ambiance du 24 juillet dernier, l'enjeu pour la ville était majeur : celui de retrouver une partie de son âme, de se réconcilier avec son patrimoine et son authenticité et d'attirer des touristes d'une manière plus humaine. Beaucoup d'autres régions ont, elles aussi, besoin d'une pareille réconciliation…