Par Abdelhamid GMATI Voici donc notre premier Ramadan après la révolution. De quoi sera-t-il fait ? Sera-t-il «révolutionnaire», exceptionnel ? Si oui, en quoi ? D'aucuns mettaient en garde, appréhendant quelques dépassements, quelques comportements extrémistes. De fait, on a eu une première nouveauté: sur la chaîne de télé nationale, le mufti a «conseillé» aux restaurateurs et aux cafetiers, de fermer leurs commerces durant les journées tout au long du mois. Pourquoi? Parce que certains extrémistes ont menacé de s'en prendre à ces lieux publics et à leurs clientèles. Du jamais vu, dans la Tunisie moderne. Est-ce là l'apport de la révolution qui a été faite, justement pour qu'on puisse jouir de toutes ses libertés? Bien sûr que non. Mais ce responsable, qui est supposé défendre les valeurs islamiques, entre autres les libertés de culte et de décisions, craint les groupuscules et cède à leurs menaces. Après la dictature de Ben Ali et de sa smala, voici celle des «extrémistes» barbus. Ainsi donc, il suffit de menacer pour avoir gain de cause, et dicter sa loi à tout un peuple. Il est à craindre que cette minorité ne s'arrête pas là. Cela est contre-révolutionnaire. Heureusement, quelques cafetiers et restaurateurs ont fait fi des «conseils» non judicieux et irréfléchis et ont continué leurs activités normalement, comme ils le font depuis des décennies, même sous la ou les dictatures. Les Tunisiens sont en majorité musulmans et vivent leur religion intensément avec leur propre «génie». Et ils ont pris leurs habitudes. Ainsi, après les dures journées (surtout avec la chaleur estivale) de jeûne et d'abstinence, ils compensent durant les soirées. Bien sûr, ils font ripaille et s'adonnent allégrement aux joies du palais. Et cette grande bouffe alimentaire se retrouve aussi du côté des loisirs. Et traditionnellement, cela commence avec le petit écran : on digère en suivant les diverses émissions réalisées spécialement durant le mois saint. Les chaînes tunisiennes et aussi arabes se livrent à une belle concurrence durant les deux heures après la rupture du jeûne. Feuilletons divers, sit com., émissions humoristiques, sports, variétés, tout est proposé et aux mêmes heures, c'est-à-dire en prime time. Les annonceurs cèdent au nombre de téléspectateurs. Le téléspectateur, lui, ronchonne au début mais finit par faire ses choix et suivra tel feuilleton ou tel sit com.…Tout pour la détente. Des nouveautés, il y en a; quant à la qualité, on verra. Une curiosité sur la chaîne Hannibal T.V., qui fait n'importe quoi dans le populisme pour attirer les téléspectateurs: l'homme politique, cofondateur du parti islamiste Ennahdha, Abdelfattah Mourou, aura une émission. Bien sûr cela a provoqué un tollé de protestations auprès des politiques. Mais il semble qu'il ne parlera pas de politique et ne fera que prêcher, revenant ainsi à ses premières apparitions des années 70. Ce sera amusant de suivre ses prêches, après tout ce serait intéressant mais pas nécessairement positif pour son parti. Dans la deuxième partie de la soirée, les Tunisiens iront chercher ailleurs d'autres divertissements: dans les cafés pour commenter, discuter ou jouer aux cartes. Le soir, les cafés sont tous ouverts, n'en déplaise aux «conseillers». D'autres auront les spectacles de musique, de danse, de chant, proposés par les festivals d'été. Et comme d'habitude, le fameux Festival de la Médina de Tunis qui en sera à sa 29e édition. Durant tout le mois, les spectacles variés seront proposés, tous les jours. Des spectacles d'artistes tunisiens, parmi les plus appréciés, et aussi syrien, palestinien, égyptien, espagnol, indou, arménien, bolivien, américain. D'autres villes proposeront aussi leur festival «de la médina». On aura droit aussi à du cinéma avec «les Nuits de Carthage», avec des films divers, tunisiens, arabes, internationaux, et dont les projections auront lieu au Musée de Carthage. La révolution, les tunisiens la vivent à leur manière, comme ils le font durant le mois saint avec ferveur, abstinence, recueillement mais aussi en en faisant une fête, exprimant une joie de vivre réelle et bien assumée.