Par Ezzeddine BOUSLAH* La faible propension des Tunisiens à s'inscrire sur les listes électorales préfigure une faible participation aux élections de la Constituante. Il y a là une menace sérieuse de remise en cause des acquis et des aspirations nés de la révolution. Paradoxalement, l'abstention prévue va être le fait des artisans et des défenseurs de la révolution. Ce paradoxe n'est qu'apparent. Déçus par le bilan des gouvernements provisoires, des instances mises en place pour assurer la transition et des pratiques partisanes, les citoyens acquis à la cause révolutionnaire sont saisis de plus en plus par un sentiment de doute, voire de désenchantement. Le retour en force des forces rétrogrades et l'émiettement des forces démocratiques dont les pratiques révèlent des incohérences inquiétantes ont généré une scène politique peu féconde. Le tableau se noircit quand on considère les fissures multiples du tissu social, l'engourdissement des structures économiques et les dysfonctionnements déroutants des institutions sécuritaires et judiciaires. En outre, on assiste à une polarisation malsaine sur l'agenda politique au détriment des questions économiques et sociales. A titre d'illustration, il suffit de relever le silence quasi total des acteurs politiques sur le dossier stratégique de la sécurité sociale (en particulier l'assurance maladie et les régimes de retraite) dont le traitement nécessite un vrai débat national. En dépit de tous ces aspects négatifs, il est encore possible de redresser la barre à la faveur d'un sursaut des forces vives de la nation et d'une autocritique courageuse des acteurs politiques. Il n'est pas trop tard de reconnaître que la voix choisie de l'élection d'une assemblée constituante est semée de multiples embûches. Outre le manque de visibilité quant aux fonctions de la Constituante projetée, le risque est de vivre une transition à rallonge difficilement maîtrisable, et ce, en raison de l'absence de détermination de la durée du mandat de l'Assemblée constituante. Le plus important est de souligner le danger que représenterait l'adoption d'une Constitution qui ne répondrait pas aux exigences de la séparation et de l'équilibre des pouvoirs, de la séparation du religieux et du politique et de la garantie des libertés publiques et individuelles. ‑C'est dire que le risque de réversibilité du processus transitoire sera grand, tant il est vrai que l'issue de toute transition n'est jamais connue d'avance. A la lumière de ces considérations, il est plus opportun d'opter pour la voie référendaire qui permettra au peuple de choisir la Constitution. Nous disposons déjà d'un projet élaboré par le doyen Sadok Belaïd, et deux autres projets inspirés des modèles parlementaire et présidentiel pourraient être élaborés dans un délai raisonnable ne dépassant pas un mois. Ainsi la date du 23 octobre pourrait être maintenue pour organiser le référendum qui semble, selon plusieurs indices, emporter l'adhésion d'une majorité de citoyens qui redoutent le pouvoir discrétionnaire d'une assemblée constituante dont la composition pourrait ne pas correspondre aux attentes suscitées par la révolution. Une telle éventualité est grosse de risques majeurs, en particulier un déficit de légitimité du pouvoir qui sera mis en place par une assemblée faiblement représentative. Un tel scénario générerait instabilité politique et discorde sociale, voire l'évanouissement de tous les espoirs que la révolution du 14 janvier a suscités. L'absence de visibilité qui caractérise la situation d'aujourd'hui s'est traduite par la relance des manifestations de mécontentement social. En témoignent les différentes manifestations organisées le 15 août par les forces syndicales et politiques, ainsi que par les organisations de la société civile. La lucidité impose aujourd'hui un changement de cap pour défendre les acquis de la révolution et garantir l'avenir démocratique de notre pays.