Par Slim Jouini* Seuls 3 700 000 Tunisiens (soit à peine plus de 50% du corps électoral) se sont inscrits sur les listes électorales à la date du 14 août, et ce, malgré les multiples campagnes télévisées et radiophoniques de sensibilisation. C'est bien peu pour un peuple qui a su forcer l'admiration du monde par son courage, sa détermination et sa dignité. Ce peu d'empressement nous donne deux signaux importants, l'un positif, l'autre négatif : 1. La bonne nouvelle, c'est que les religieux ne sont pas majoritaires dans notre pays puisque malgré l'inscription rapide de leurs adhérents toujours très motivés (comme ceux de tous les partis extrémistes du monde), le taux d'inscription sur les listes électorales ne dépassait pas 30% du corps électoral à la première date de clôture fixée au 2 août 2011. 2. La mauvaise nouvelle, c'est qu'il y a une réelle désaffection paradoxale de près de la moitié du corps électoral pour ces premières élections tunisiennes libres et démocratiques. De nombreux journalistes se sont intéressés aux causes de cette désaffection, notamment chez les jeunes, qui ont pourtant initié cette Révolution du jasmin. Deux grandes raisons prédominent dans les réponses des sondés : 1. L'absence de changement perceptible depuis la révolution dans les conditions de vie du citoyen qui continue à faire face au chômage, sans compter l'inflation. 2. Le fonctionnement aberrant de la justice qui libère de façon incompréhensible un certain nombre d'inculpés corrompus proches du dictateur déchu. Pour les personnes interrogées, le gouvernement semble complice puisqu'il se réfugie derrière le principe récemment proclamé et soi-disant intangible de l'indépendance de la justice. Nous nous devons de répondre avec force à ces deux arguments si nous voulons que le vote du 23 octobre reflète réellement l'opinion du peuple tunisien. Autrement, l'abstention massive risquera de donner le pouvoir à une minorité religieuse active qui prendra en otage la population en imposant à la majorité silencieuse des choix de société dont elle ne veut pas. De plus, en compromettant le tourisme et nos relations avec nos partenaires étrangers, cette minorité risque de compromettre la relance économique du pays, pourtant si nécessaire pour résorber le chômage. Seule une participation enthousiaste de tous les Tunisiens à ce scrutin est en mesure de consolider notre fragile démocratie naissante et de préserver nos intérêts socioéconomiques. C'est pourquoi le gouvernement provisoire doit agir très vite dans l'intérêt supérieur du pays en prenant deux décisions d'application immédiate qui seules pourront restaurer la confiance : 1. Lancer une politique de grands travaux, en particulier dans les régions déshéritées du Sud et de l'Ouest qui pourrait donner immédiatement du travail à une main-d'œuvre peu qualifiée : lutte contre la désertification, reboisement, etc. Le gouvernement ne peut différer ces mesures d'utilité publique sous prétexte qu'il est provisoire. En effet, la phase de transition que nous vivons va durer encore au moins 8 mois, voire une année, jusqu'à la proclamation par l'Assemblée constituante de la nouvelle Constitution et l'avènement d'un gouvernement élu. Le peuple tunisien ne pourra pas attendre jusque-là et des troubles immenses risquent d'éclater dans notre pays, compromettant tout le processus démocratique. 2. La deuxième décision du gouvernement provisoire doit être d'instituer d'urgence un tribunal révolutionnaire constitué de juges connus pour leur compétence, leur sagesse et leur intégrité. Ce tribunal serait seul à même de juger les crimes de l'ancien régime. Il serait régi par des règles de fonctionnement strictes, prédéfinies qui empêcheraient des libérations aberrantes et préjudiciables à la confiance du peuple. Alors seulement, il sera possible de respecter la souveraineté des décisions de justice car aucune justice au monde ne saurait être indépendante si elle n'a pas auparavant été assainie. C'est uniquement à ce prix que le peuple tunisien pourra retrouver le 23 octobre, autour des urnes, l'enthousiasme qu'il a connu dans la rue le 14 janvier après la fuite de Ben Ali. S.J. *(Chef de service hospitalier)