Nous avons rencontré avant-hier Gael Martin-Micaleff, expert à la Commission de Venise*, l'organe consultatif du Conseil de l'Europe pour les questions constitutionnelles. Il est venu pour participer à l'ouverture d'une session de formation que la Commission de Venise organise, en partenariat avec l'Ordre des avocats de Tunisie, du 19 au 23 septembre, au profit de 45 avocats tunisiens sur le contentieux électoral : degré de validité des candidatures, non-respect de l'impartialité des médias, contestation des résultats électoraux… Gael Martin-Micaleff avait participé la semaine passée à la mission d'évaluation qui a été invitée à examiner la préparation des élections du 23 octobre. L'avis de l'expert sur cette période électorale en Tunisie semble mitigé : «Généralement, les phases postrévolutionnaires, qui baignent dans un flou juridique et politique, sont chaotiques. Elles sont comparables à des situations de séisme, qui connaissent des répliques à petites doses. Après quinze années de changement politique, la Commission de Venise continue à assister les pays d'Europe centrale sur tout ce qui concerne les questions législatives, constitutionnelles et techniques. En Tunisie nous avons repéré des aspects de désorganisation, incontournable dans une période de transition démocratique et de préparatifs aux premières élections libres et pluralistes de ce pays depuis l'Indépendance, au niveau logistique. L'Isie a encore beaucoup de travail pour les semaines qui restent. Au niveau des listes électorales, il y a quelques imperfections. Il faudrait que cette instance trouve la bonne procédure pour s'assurer que tous les électeurs qui remplissent les conditions d'âge et de nationalité puissent voter le jour du scrutin... Nous avons constaté les quelques rejets par rapport à certaines listes candidates aux élections, qui ont été suivies de recours devant les tribunaux. Bon an, mal an, on avance, mais je garde bon espoir que le scrutin se déroule dans la meilleure ambiance possible. D'autre part, au-delà du football, les Tunisiens se découvrent aujourd'hui une nouvelle passion qui est le débat politique. C'est quand même bien de confronter des idées, de ne pas être d'accord nécessairement, même avec une majorité autour de soi, dans son entourage familial, amical, professionnel et, à ce titre, on se sent libre à la fois pour exprimer une opinion politique et pour aller voter. Nous avons également enregistré avec satisfaction cet accord du 15 septembre entre 11 partis de l'Instance Ben Achour, un consensus qui engage les politiques à respecter une feuille de route et certains engagements moraux au lendemain des élections. Combien de temps pourrait prendre la rédaction d'une Constitution, six mois, un an, deux ans ? La question revient souvent dans les débats aujourd'hui. La vie politique pluraliste est assez nouvelle en Tunisie. L'Assemblée réunira des partis et des membres indépendants aux idéologies assez différentes : il faudra qu'ils se mettent d'accord entre eux. Six mois suffiront-ils pour trouver un consensus ? Je ne le pense pas». Propos recueillis par O. Belhassine *La Commission de Venise : créée en 1990 est l'instance de réflexion juridique indépendante du Conseil de l'Europe. Elle a débuté son activité en aidant les nouvelles démocraties à adopter des Constitutions en concordance avec les standards constitutionnels tout en respectant les référents culturels nationaux. La Tunisie a adhéré à la Commission de Venise en avril 2010.