Il y a trois choses qui me taraudent encore face aux imminentes élections du 23 octobre : Une : la flopée d'argent (dans une Tunisie exsangue) d'un parti religieux, dont on dit qu'un pays de l'Eldorado lui aurait ouvert les vannes pour casser la révolution! Vrai ou faux? Deux : l'orchestre des voix anciennes (de deux générations confondues), d'anciens démagogues ou de leurs héritiers, qui pullulent en partis. Vrai ou faux? Trois : deux ou trois formations de droite ou de centre gauche qui se croient encore plutôt à Paris qu'à Tunis, et qui se mirent dans leur miroir comme s'ils étaient déjà présidents de la Seconde République, rehaussée par la magistrale révolution tunisienne. Vrai ou faux? Oui, voilà ce qui me taraude et qui ajoute à la grogne comme chez un très grand nombre de mes concitoyens sensés de mon pays et qui y voient comme une véritable déviation par rapport à l'appel au changement radical du 14 janvier. Mais où est la belle voix de tous les progressistes, hommes et femmes confondus, et que j'aurais aimé entendre à travers tout le pays? Oui, l'urgence est historique de rappeler, en ces heures graves, que nous ne devons pas laisser faire culbuter cette révolution, aux seuls desiderata des uns et des autres toujours imbus de leur pouvoir. Depuis près de soixante ans, notre pays a vécu dans l'indigence, pour ne pas dire la misère. Tout a été faussé, vicié dès le départ, à cause d'une Constitution truffée de lois opaques ou mensongères et qui ne correspondaient en rien avec les véritables aspirations populaires de vivre dans la dignité, la liberté, l'égalité des chances, la fraternité. Tout n'aura été qu'artifice et mensonges jusqu'au départ‑—plutôt la fuite— du président déchu et de sa cohorte. Dois-je rappeler à tous ces futurs gouvernants que, comme c'est la jeunesse qui a apporté cette inespérée révolution, c'est à elle que reviendra, en dernier lieu, de choisir ses élus, à travers une Constituante qui ne devra pas être maintenue encore dans le fracas de l'indignité et de la corruption, des inégalités et d'un certain despotisme qui devra à jamais être honni, banni. Notre pays est à genoux et la plupart des valeurs (matérielles et immatérielles) sont dans l'asphyxie. Notre peuple est épuisé d'avoir trimé d'une génération à l'autre, sans avoir obtenu quelque gain de cause que ce soit, pour vivre dans la dignité. Ce pays et ce peuple sont pourtant grands d'avoir résisté à toutes les intempéries, aux désirs sadiques de leurs gouvernants, à l'esprit de corruption répété —il le sera peut-être encore—, à la mainmise sur leurs biens gagnés à la lèpre du temps. Nos jeunes sont devenus des harragas, de véritables forçats des temps d'aujourd'hui. Des êtres fragilisés, sans amour, sans horizon, sans pain ni lait… Oui, l'urgence historique est à nos portes. Dans les semaines à venir, tout sera décidé pour ou contre cette jeunesse magnifique qui veut affirmer autrement sa personnalité et son désir de vivre une vie moins fragilisée, une vie digne, digne, digne… A ceux qui prétendent vouloir du bien, rien que du bien pour notre pays, à ceux-là, il faudra dire que leurs vies partisanes ne servent plus à rien et qu'il faudra tout mettre en commun pour sauver la nation. Mettre de côté, surtout, leurs jugements erronés de tant de conservatisme ou d'idéalisme qui ne servent en rien l'esprit de la jeunesse d'aujourd'hui. Après «les tyrans qui se sont fait la malle», comme me le dit mon ami de longue date, «ceux qui croyaient qu'une goutte de sang ne valait pas la moindre goutte de pétrole (voyez encore la Libye!), nous sommes maintenant en droit d'entrevoir une nouvelle espérance pour les générations à venir». A bon entendeur, salut !