Les sombres geôles du ministère de l'Intérieur sont sorties, hier, de leur mutisme pour livrer leur secret à un groupe de jeunes écoliers venus rendre visite au ministère de l'Intérieur, à l'initiative de l'Association théâtre «El halaka» (le cercle). Le but: briser la glace entre le ministère de l'Intérieur et le citoyen lambda, en multipliant les initiatives permettant d'assainir et de rendre plus chaleureuses les relations entre les agents de l'ordre et le public. Munis de pinceaux, de pots de peinture , accompagnés des membres de l'association, une bonne dizaine d'écoliers, plein de curiosité, ont pénétré l'enceinte de l'établissement, glissant un regard avide sur les murs de l'immense bâtisse grise. Afin de décontracter l'atmosphère, quelques agents de l'ordre se sont proposés de jouer le rôle de guide. Les grandes portes blindées des geôles se sont ouvertes dans un grand bruit assourdissant. Un brusque frissonnement saisit l'assistance à la vue de ces murs froids, témoins tout au long de ces années de la persécution de dizaines, voire de centaines de pensionnaires qui ont croupi pendant des mois à l'intérieur de ces cellules dans des conditions inhumaines, pour avoir milité ou s'être opposés au régime en place. Afin de briser une fois pour toutes la malédiction, les enfants ont lancé des ballons et ont éclaboussé les murs de peinture. Les écoliers ont choisi des couleurs vives pour peindre des esquisses sur les portes blindées qui se sont refermées définitivement sur leur sombre histoire. Elève en neuvième année de l'enseignement de base, Takoua Barhoumi a choisi de peindre l'innocence, représentée par une petite fille observant le ciel. «En venant ici, j'avais un peu peur, confesse la jeune écolière. J'avais entendu parler de cet endroit où on emprisonnait des personnes parce qu'elles ont fait quelque chose de mal. J'ai trouvé l'endroit très triste. Je ne comprends pas comment une personne puisse supporter de rester enfermée pendant des jours sans pouvoir parler ni voir sa famille et ses amis. Dans mon dessin, je voulais exprimer l'innocence, la liberté ». A côté, Sarra, une autre écolière, s'applique à peindre les rayons du soleil ainsi que de gros cœurs en rouge vif, symboles d'amour et de liberté. Une des écolières plonge ses mains dans un grand seau de peinture et grave, dans un grand éclat de rire, ses empreintes sur l'une des portes blindées. « J'ai toujours entendu mes amis et mes proches parler du ministère de l'Intérieur avec beaucoup de respect et de crainte. Quelle a été leur grande surprise lorsque je leur ai dit que j'allais visiter les prisons du ministère de l'Intérieur. Ils ont été extrêmement surpris. J'ai mis les empreintes de mes mains pour garder un souvenir de mon passage». Dans l'assistance, deux prisonniers politiques fixent les portes des geôles qui se sont définitivement refermées sur elles-mêmes. Les larmes aux yeux, ils ressassent les souvenirs. Mohamed Khmil, 75 ans, professeur de français à la retraite et prisonnier politique se souvient de son passage dans la fameuse geôle du ministère de l'Intérieur. L'homme avait été arrêté en 1975 car il militait dans un parti de gauche non autorisé. Il sera de nouveau arrêté dix ans plus tard pour avoir manifesté sans autorisation. «J'ai passé trois mois et demi dans les geôles du ministère de l'Intérieur. Au cours de l'interrogatoire, j'ai été torturé à plusieurs reprises, suivant les différentes techniques connues comme celle du poulet rôti....Ensuite, on me faisait descendre dans ma cellule. On était enfermés entre quatre murs et on entendait les prisonniers crier sous le coup des mauvais traitements infligés. Je me rappelle qu'il y avait des jours où on me torturait tellement que je n'arrivais plus à me tenir debout». Au sein du ministère de l'Intérieur, seule une poignée de cadres avaient accès aux sinistres geôles situées au sein de la bâtisse grise, raconte un responsable du ministère. Existant bien avant l'Indépendance — on y emprisonnait les résistants à l'occupation française — les cellules ont, par la suite, été aménagées pour accueillir toute personne ayant porté atteinte à l'intégrité du territoire. « Il n'y a avait pas que les terroristes. On emprisonnait également dans ces cellules les opposants au régime, les militants..... Aujourd'hui c'est un passé qui est révolu », explique M. Hichem Meddeb, responsable au ministère, ajoutant que ce premier pas qui a été effectué par le ministère de l'Intérieur pour rompre la glace avec les citoyens ouvrira sûrement la porte à d'autres initiatives citoyennes.