Le documentaire Fellagas 2011 de Rafik Omrani a été bien accueilli lors de la projection organisée, vendredi dernier au Colisée, dans le cadre du festival de la citoyenneté. Un film intéressant reproduisant le dernier sit-in de la Kasbah qui s'est terminé en affrontements entre police et manifestants et a abouti au final, à la dissolution du gouvernement de Mohamed Ghannouchi. Mars 2011, le froid, la pluie et les conditions difficiles n'ont pas découragé les jeunes venus de Menzel Bouzaïane, Rgueb, Mazouna et d'autres régions du pays, résolus à en découdre avec le gouvernement en place, soupçonné de complicité avec le président déchu. Visages burinés et fermés, regards soutenus, langage sans concession, les jeunes révolutionnaires balaient la place mythique de la Kasbah, place du Gouvernement, aux murs tagués. En face, derrière les barbelés, les vénérables soldats impassibles sont témoins du spectacle de ces nouveaux fellagas. Arrêt sur images d'une Médina de Tunis métamorphosée, ralentis sur les affrontements entre forces de l'ordre et manifestants pour mieux saisir le degré de violence des uns sur les autres, voix de fond à peine audible des sit-ineurs résolus à mettre fin à un gouvernement sourd à leur quête : l'élection d'une Assemblée constituante. «Il m'a fallu du temps et du recul pour que je puisse reconstituer ma conception de cette réalité révolutionnaire, d'élaborer un regard différent», confie le réalisateur. Un sentiment dominant est la détermination de ces révolutionnaires que le documentaire rend palpable en même temps, il révèle le courage de chacun des personnages prêt à sacrifier sa vie comme les fellagas autrefois. Loin des images très consommées de la télévision, le film propose un autre point de vue sur le sit-in de la Kasbah, distant et pudique pour ne pas effrayer les protagonistes de plus en plus méfiants des caméras. L'emploi d'images métaphoriques — la force des tirs des agents de l'ordre qui fait tomber les feuilles des arbres — exprime à lui seul la charge de violence à l'encontre des sit-ineurs pour les évacuer de la place. Un état d'inquiétude règne sur la foule qui défie un arsenal répressif et que le film fait si bien sentir. C'est impressionnant de voir ces militants venus à pied de si loin brandissant des photos de martyrs dont celle de la petite Yakine Guermassi, âgée de six mois, tuée dans les bras de sa mère. Ce n'est pas toujours l'euphorie sur cette place filmée, surtout la nuit lorsque la tension baisse et que seuls les militants s'y trouvent, faisant la queue pour un sandwich, ou enroulés dans des couvertures en laine, bravant le froid et la pluie. «Nous servirons de modèle... nous serons les chandelles qui éclaireront le chemin pour tous les militants pour la liberté au monde», dit l'un d'entre eux. Chroniques des jours avec force témoignages d'un événement inhabituel que Rafik Omrani restitue avec précaution : «L'objectif est de leur donner la possibilité de s'exprimer. Une possibilité dont ils étaient souvent privés. Mais aussi de m'exprimer à mon tour, et de m'impliquer encore plus à travers deux types de voix-off. Ces deux voix instaurent un aspect polyphonique dans l'ambiance sonore du film, mais traduisent aussi mon hésitation, mon inquiétude, mon identité complexe de citoyen et réalisateur à la fois…», explique-t-il. Et c'est sur un poème de Mahmoud Derwiche que se termine ce documentaire. Les spectateurs sont captivés, happés par la résistance si farouche des révolutionnaires, les chandelles de la Kasbah ou les fellagas 2001.