Par Abdelhamid GMATI Un ex dictateur, ayant sévi au Chili, il y a quelques années, accorda — chose rare — une interview à des journalistes américains. Ceux ci le bombardèrent de questions relatives au non-respect des droits de l'homme, de l'absence de démocratie, des persécutions d'opposants, des tortures...Excédé, il leur répondit : «Vous voulez dire que les dirigeants sont mauvais ? Oui ? Eh, bien, quand les dirigeants sont mauvais, il faut changer le peuple». Il signifiait, à sa manière, ce que d'autres ont affirmé de diverses façons, à savoir que « les peuples ont les dirigeants qu'ils méritent ». En d'autres termes, la qualité des dirigeants dépend de la qualité du peuple qu'ils gouvernent. D'où la question qui s'impose : le peuple tunisien a t il mérité Ben Ali et sa clique ? D'aucuns pourraient affirmer que le peuple tunisien est, au moins, responsable de ce qui lui est arrivé. D'abord, pour avoir accepté le «coup d'état», fut il «médical» de Ben Ali; ensuite pour s'être laissé berner par les promesses des premières années ; enfin pour s'être tu et laissé faire, en un silence complice, tous les méfaits du tyran et de sa famille mafieuse. Les quelques voix discordantes, esseulées, ont été systématiquement réduites au silence, par la répression, la torture, l'emprisonnement et l'exil forcé et ne pouvaient donc pas beaucoup influer sur le cours des choses. D'autres, pour expliquer ce silence et cette résignation, font référence à la tradition arabo-musulmane qui prône la soumission. Quand on impose le respect de la hiérarchie, des ainés, l'obéissance aveugle, au père, au maître, aux parents plus âgés, aux enseignants, aux patrons, se soumettre à la dictature des gouvernants devient (presque) naturel. Du reste les pays arabo musulmans ont toujours été gouvernés par un chef omnipotent (califes, sultans, rois, émirs...), invoquant des dogmes (religieux, politique, histoire, tradition...). Oui, mais, mériter quelque chose ou quelqu'un suppose un choix, un acte volontaire, librement consenti. Cela suppose aussi une complicité, des affinités, une convergence d'intérêts. Or ce ne fut pas le cas. Pour aucun tyran. Les peuples se sont retrouvés devant des faits accomplis (coups d'état, successions forcées et imposées etc.). Et lorsqu'il y avait élections, elles étaient toujours truquées. Les dictateurs savaient et savent manipuler leurs peuples. En usant, entre autres de la rétention de l'information, de l'ignorance, du mensonge, des promesses fallacieuses. Le peuple ignorait ce qui se passait réellement. Il souffrait, en silence, attendant des jours meilleurs. Et il y avait toujours un fossé entre les dirigeants et les peuples. Les gouvernants ont leurs propres intérêts et ignorent ceux des gouvernés. C'est significatif de rappeler que dans son dernier discours et dans une dernière tentative de garder le pouvoir, Bel Ali s'est exclamé : « Je vous ai compris; je vous ai tous compris», avant de s'enfuir comprenant, en fait, que le peuple n'était plus dupe. Les choses ont changé et le peuple s'est réveillé de sa léthargie, plus ou moins imposée, généralisée. En faisant tomber la dictature et ses principaux barons, le peuple tunisien a dit clairement qu'il ne mérite pas ses dirigeants. Aujourd'hui ce n'est plus le peuple qui a peur de ses dirigeants ; ce sont plutôt les dirigeants, et les futurs dirigeants qui devraient avoir peur du peuple. Dans quelques jours, le peuple tunisien va avoir une occasion unique, la première, de démontrer qu'il est maître de sa destinée et qu'il peut choisir les dirigeants qu'il mérite. Dans un premier temps, en choisissant ceux qu'il va mandater pour élaborer une Constitution, la Loi des lois, celle qui va asseoir et garantir ses libertés et son pouvoir. Et aux futurs élus de se montrer dignes de cette confiance et de mériter leurs électeurs.