Par Abdelhamid GMATI Les 11.333 candidats qui se disputent les 217 sièges de l'Assemblée nationale constituante sont à la fête : les élections, tant attendues, ont débuté à l'étranger depuis 3 jours et ont lieu aujourd'hui sur le territoire national. On peut dire que c'est le premier défi gagné par la révolution. Jamais dans l'Histoire de la Tunisie, les élections n'auront été aussi libres. Et les électeurs vont avoir le choix avec ce nombre de candidats répartis en 1.570 listes. Les indépendants (701 listes), les partis (790 listes) et les coalitions de partis (79 listes) vont enfin connaître leur poids politique. Tous ceux qui, durant les 10 derniers mois, ont parlé, crié, vociféré, accusé, diffamé, exigé, revendiqué, en se présentant comme porte-parole du peuple, vont enfin savoir s'ils ont entendu le peuple. Car aujourd'hui, le peuple va parler. Directement et sans intermédiaire. Par les urnes. Et chacun saura ce qu'il représente réellement. Point positif : il n'y aura plus de surenchères, ni usurpations dans ce domaine. Cette richesse dans les candidatures, indépendantes et partisanes, crée un certain désarroi, une certaine perplexité, auprès des électeurs. Pour qui voter ? Qui choisir ? C'est là justement que réside l'un des intérêts de ce scrutin: on sait enfin les tendances qui forment la scène politique tunisienne. Il y en a pour tous les courants, pour toutes les convictions. De l'extrême droite à l'extrême gauche; des tenants de l'obscurantisme aux défenseurs de la modernité; de ceux qui veulent imposer des dogmes religieux ou sociopolitiques à ceux qui prônent la laïcité, en passant par les centristes qui pensent que la coexistence entre tous les courants est possible et forme même le socle de la démocratie. Pour les élections d'aujourd'hui, il faut garder à l'esprit qu'il s'agit d'une Assemblée constituante, c'est-à-dire que le but premier et essentiel est d'élaborer une Constitution, garantissant la réalisation des objectifs de la révolution, c'est-à-dire en somme la démocratie. A partir de là, le choix porte sur ceux qui ont fait des propositions concrètes à ce sujet. Plusieurs partis politiques semblent oublier cette priorité et axent leurs discours et leurs préoccupations sur le pouvoir. Certains élaborent des stratégies pour l'élection d'un président de la République et sur la désignation d'un gouvernement d'union nationale. C'est à dire qu'ils veulent accéder au pouvoir par le jeu des coalitions entre partis. Ce qui n'est pas très démocratique. Peut-être parce qu'ils savent qu'ils n'ont aucune chance de goûter au pouvoir par les urnes. Il y a ceux qui proposent des exclusions et nous promettent un monde où le pouvoir ne sera pas au peuple mais à des dogmes, notamment religieux. Il y a ceux qui manquent de transparence et refusent de révéler les sources de leurs financements, ce qui est une pratique des dictatures. Il y a aussi les indépendants, soucieux essentiellement d'élaborer une Constitution, conforme aux aspirations du peuple tunisien. Le choix est exaltant. Cela nous change du parti et de la pensée unique. Certains rebutés par la richesse du choix préfèrent renoncer à voter. C'est là une erreur et une trahison de la révolution. Car si les Tunisiens se sont révoltés, c'est parce qu'ils en avaient marre d'être traités en sujets, maltraités, malmenés, n'ayant pas droit à la parole, obligés d'entériner les choix faits par d'autres, ne pouvant qu'obéir et subir. Ils voulaient avoir droit au chapitre, prendre leur destinée en main. Bref, ils voulaient être des citoyens. Aujourd'hui, c'est l'occasion ou jamais d'enterrer définitivement le statut de sujet pour accéder à celui de citoyen. Il s'agit donc d'affirmer son existence, sa liberté, son engagement, en allant voter pour les candidats de son choix. S'il y a des abstentionnistes, c'est qu'ils ne sont pas faits pour la démocratie. Alors ! Tous ensemble, en masse, allons visiter ces urnes. Il paraît qu'elles sont très belles, de cette beauté qu'offre la liberté.