Par Sofien Ben Farhat Que faire d'une organisation vieille de plus de soixante ans et dont la vocation initiale n'est plus de mise ? Cela semble être le dilemme cornélien des pays occidentaux. Réunis à Tallin en Estonie, les 28 pays membres de l'Otan planchent depuis hier sur le nouveau "concept stratégique" de l'Alliance atlantique et sur diverses questions controversées. L'ancien concept stratégique date de 1999. En fait, il semble que la crise de l'Otan soit existentialiste. Créée en 1949, l'organisation transatlantique était supposée contrer une éventuelle invasion terrestre de l'Europe occidentale par les troupes soviétiques. Entre-temps, la Guerre froide aidant, l'Union soviétique a bien été mise en pièces, démantelée à la faveur de révolutions pro-occidentales aux issues douteuses. Et comme la nature n'accepte pas le vide, d'autres problématiques et menaces ont fait surface. Tel est le cas de l'engagement des forces de l'Otan en Afghanistan, du maintien des armes nucléaires sur le continent européen, du terrorisme ou des relations tumultueuses avec la Russie. Car si l'on redoutait jadis l'irruption des chars soviétiques en Europe occidentale, c'est l'Otan qui semble rendre désormais la politesse à Moscou. En effet, on assiste à l'expansion de l'Alliance atlantique dans les pays limitrophes de la Russie, c'est-à-dire dans le pré carré russe. Et le bouclier antimissile américain a été envisagé en Pologne notamment, c'est-à-dire dans l'enceinte même d'un ex-pays de l'Est. N'oublions guère par ailleurs la guerre de la Russie avec la Géorgie de l'été 2008. Elle pose la problématique du statut, du rôle et du devenir des anciennes Républiques soviétiques ayant adhéré à l'Alliance, à l'instar de la Lettonie, de la Lituanie et de l'Estonie. Les pays européens délestés de la supposée — ou prétendue — menace soviétique commencent en fait à avoir de nouveaux états d'âme. Nombre d'entre eux s'interrogent volontiers et ouvertement sur le pourquoi du maintien du "parapluie" nucléaire américain en Europe en l'état actuel des choses. En d'autres termes, ils soulèvent un gros lièvre : celui du retrait d'Europe des armes nucléaires américaines datant de la Guerre froide. Il s'agit bien de pas moins de 200 armes nucléaires à courte portée maintenues dans cinq pays européens de l'Otan. Pour l'heure, le secrétaire général de l'Alliance, Anders Fogh Rasmussen, semble avoir conçu un début de réponse. Il estime que l'Otan devrait se réinvestir dans le multilatéralisme. Comme renforcer ses liens avec d'autres alliances militaires bien loin de l'Europe, à l'instar des puissances émergentes telles que la Chine et l'Inde. Là aussi, il y a dilemme, risques, périls et controverse. Rasmussen en a fait état : certains "craignent que l'Otan ne se disperse trop et d'autres ont peur que l'Otan veuille concurrencer l'ONU", a-t-il déclaré à l'université de Chicago le 8 avril. "Pour ces raisons, entre autres, il y a une hésitation sur le fait que l'Otan s'engage plus systématiquement avec des pays comme l'Inde ou la Chine." C'est dire le casse-tête de l'Otan. Rien n'est plus comme avant au sein de la famille. Les chamailleries, le ressentiment et les rancœurs s'accumulent. Cela se traduit par un véritable spleen de l'organisation transatlantique. Il reste à espérer que cela débouche sur de véritables issues concrètes plutôt que sur un énième report sournois des questions qui divisent, froissent et blessent. On a beau être une organisation internationale armée jusqu'aux dents, cela n'empêche guère la perspective de la bonne thérapie.