Par Mourad ABDELLAH* Où va la Tunisie ? C'est la question qu'on est en droit de se poser et que beaucoup de Tunisiens se posent en cette période où les sujets d'inquiétude et d'interrogation se multiplient à un rythme effréné, mettant en cause les fondements mêmes de la Révolution tunisienne basés essentiellement sur des revendications de libertés, de progrès et de justice sociale et non sur la régression et le retour en arrière, sous quelque prétexte que ce soit. Or, nous assistons depuis quelque temps à une hécatombe d'événements, qui laissent perplexe et qui sont d'une gravité extrême. Il y a d'abord la mise en cause, d'une manière qui semble irréelle à notre époque tellement ce n'est plus de mode, de la liberté d'expression et de pensée par le procès intenté à la chaîne de TV Nessma, suite à la projection du film Persepolis. Cela est d'autant plus consternant et inquiétant que nous sommes en droit, nous les Tunisiens, d'attendre après la Révolution de la dignité et de la liberté, qui n'est pas tombée du ciel, mais a été faite par le peuple tunisien au prix de nombreux martyrs et de lourds sacrifices, que les procès politiques soient à juste titre bannis à jamais de notre pays. Car ce procès qui est un procès politique est de mauvais augure, puisqu'il fait craindre le pire, en faisant courir le risque d'ouvrir une période de terreur intellectuelle où les gens sont tout simplement jugés pour leurs idées, alors que ceux qui ont pillé, affamé, spolié et réprimé le peuple tunisien courent toujours. Par ailleurs, les dernières déclarations de M. Hamadi Jbali sur le califat et le jihad sont à la fois dangereuses et surprenantes, tellement on se demande à quelle époque sommes-nous ? Et en quoi cela concerne les Tunisiens qui vivent, comme chacun sait, des problèmes d'emploi, de précarité, d'habitat défectueux, d'inégalités régionales, de besoins de santé, de liberté et de droits, etc. M. Jbali, qui est pressenti comme chef du futur gouvernement, se devait à ce titre d'observer plutôt un devoir de réserve, au lieu d'ameuter ses partisans et la vox populi par des propos tonitruants qui ne servent pas la Tunisie et sa place dans le monde, en tant que pays modéré, ouvert et démocratique. Or, ce qui est à craindre, c'est que M. Jbali n'a fait que révéler la vérité toute crue des véritables desseins du parti Ennahdha dont le projet essentiel et qui paraît inéluctable est l'islamisation progressive de la société tunisienne, y compris par le jihad, c'est-à-dire par la force et la violence comme on a pu le constater à l'université, à Nesma, à l'Africa, etc. Il est du devoir donc de tous les Tunisiens de rester vigilants, car le bateau, s'il fait naufrage, c'est tout le monde qui périra. La liberté, en fait, est nécessaire pour tout le monde, y compris pour les croyants et qui veulent être pratiquants, mais aussi pour les autres qui ne sont pas moins honorables et qui ont tout aussi le droit d'exercer leur liberté. La liberté des uns ne peut aller qu'avec la liberté des autres. C'est pourquoi, à la veille historique de la tenue de la première séance de l'Assemblée nationale constituante, nous espérons que la liberté d'expression, la liberté de pensée, la liberté de conscience, les droits de l'homme, l'égalité entre les sexes, la sauvegarde de la dignité et de la personne humaines, l'abolition de toutes les pratiques et peines portant atteinte à l'intégrité physique de l'homme, y compris la torture et la peine capitale qui permettront à la Tunisie de rejoindre le rang des Etats civilisés, soient inscrits comme valeurs fondamentales de la nouvelle Constitution de notre pays.