La salle Alhambra de La Marsa était pleine pour le film hors programme de Merzak Allouache. Le réalisateur du mythique Amor Gatlatou était présent pour présenter son tout dernier film, hommage aux révolutions arabes. Normal, tourné avec des moyens rudimentaires, n'a rien à voir avec la comédie légère Chouchou et ne s'inscrit point dans la filmographie classique du cinéaste. Et c'est certainement grâce à son approche nouvelle et innovante, son propos sans équivoque que cette œuvre a remporté le prix du meilleur film arabe au 3e festival Doha-Tribeca. Le film aborde la déception de la jeunesse algérienne et sa difficulté à exprimer ses idées et avis sur la vie, sur les choses... la désillusion de la jeunesse algérienne en butte à la bureaucratie et la corruption nous est raconté à travers l'histoire d'un jeune couple, lui cinéaste, elle scénariste, qui cherchent leur voie et la raison d'être de leur action culturelle. C'est autour de la projection d'une ébauche de leur film qu'ils se rencontrent avec les acteurs et débattent de ce qu'ils veulent exprimer, ce qu'ils aspirent, de la censure, de l'autocensure, de la castration, de la morale, des conventions... Face à l'entêtement du réalisateur et son désir quasi aveugle de vouloir parler de tout dans un même film, d'entremêler les histoires, de brouiller les pistes, de vouloir peindre une histoire d'amour sur fond de conservatisme, de kidnapping et de banditisme, de censure et révolte, on retrouve sa femme, la scénariste qui voit l'alternative dans l'activisme et dans son désir incessant de descendre dans la rue manifester avec ses concitoyens. Dans sa manière de filmer, Merzak Allouache nous met face à un film dans le film, une sorte de poupées russes où chaque personnage cache dans ses entrailles une multitude de facettes. La caméra évolue dans l'intime, elle s'incruste et se faufile dans les discussions de cette bande d'amis qui témoignent de leur vécu, de leur angoisse et de leur envie de vivre les choses autrement. Entre la fiction et la réalité, il n'y a presque pas de frontière, la caméra de Merzak Allouache ne cesse de tourner, et ne coupe presque pas. Des séquences entières qu'on prend à bras le corps, d'une seule traite, suivant le débat dans cette chambre exiguë d'un appartement du centre-ville d'Alger. Alger est partout, dans Normal, sur le poste de visionnage du film, dans les infos qui défilent à la télé, dans les vidéos qu'on partage sur facebook et sur les banderoles que la jeune femme prépare pour le lendemain. Merzak Allouache a su, avec ce film, s'éclipser derrière sa caméra et se laisser guider par ces jeunes artistes. Il a fait de sa caméra non pas une intruse, mais un personnage témoin. L'image portait la marque de ces gens-là : le rythme épousait leur souffle et la vibration de leur voix... Les paroles qui se libèrent entre copains, les pensées qui échappent et les préoccupations qui se partagent telles des confidences, on les voit, interrompues par le bruit assourdissant de l'hélicoptère qui patrouille. Un son et une image qui reviennent en leitmotiv, coupant la parole, ou plutôt la rendant inaudible. Quelle meilleure métaphore pour raconter la censure. La censure serait, comme l'insinue Merzak Allouache, non pas d'empêcher les gens de parler, mais de rendre leurs paroles inaudibles.