Par Abdelhamid Gmati ON commençait à ressentir des craintes sérieuses quant au processus démocratique dans notre pays. Dame ! Alors qu'on pensait avoir des débats concernant la future Constitution, les élus de la Constituante, du moins ceux des partis disposant d'une certaine majorité, négociaient la répartition de pouvoirs entre eux. La troïka, réunissant Ennahdha, Ettakatol et le CPR, commença par occuper la présidence, et la vice-présidence bicéphale de l'Assemblée. Elle usa de même au sein des deux commissions chargées l'une, de rédiger les projets de règlement intérieur de l'Assemblée constituante, l'autre, de l'organisation des pouvoirs. On commençait à craindre le pire: cette troïka, qui ne dispose que d'une majorité de la minorité, allait diriger l'Assemblée et le pays à sa guise en fonction de ses propres intérêts. Inquiétude renforcée par des déclarations de responsables, l'un «gêné» par le terme opposition, l'autre estimant qu'«être majoritaire ne veut pas dire contenter la minorité et céder sur certains points». De plus, les commissions se réunissent à huis clos et leurs travaux restent confinés au secret. Soit dit en passant, on n'a pas encore expliqué pourquoi chacune des deux commissions est composée de 22 membres. Ce chef du gouvernement, qui serait un nahdhaoui, disposerait des pouvoirs de désignation des ministres, la création de nouveaux ministères, la nomination des directeurs généraux, outre la délégation de la moitié des prérogatives du président de l'Assemblée constituante à la présidence du gouvernement lors de l'instauration de l'Etat d'urgence. Un pouvoir réglementaire absolu, contrôle total de l'administration, de la force publique, des entreprises publiques, mainmise sur les collectivités territoriales, pouvoir de nomination des hauts fonctionnaires et même des cadres de l'armée. Il aurait aussi un contrôle sur le pouvoir judiciaire, par le biais d'une autorité temporaire appelée à remplacer le CSM (Conseil supérieur de la magistrature). De plus, ce gouvernement ne pourrait pas être dissous, le projet de loi prévoyant «qu'une motion de censure à l'encontre du gouvernement ne sera recevable qu'à la majorité des 2/3. Ennahdha qui dispose de près de 42% des sièges sera donc en mesure de bloquer toute motion de censure». Le président de la République n'aurait que des prérogatives honorifiques et l'Assemblée ne serait qu'une chambre d'enregistrement des décisions prises à l'avance par la troïka. Ennahdha pensait forcer la main à ses alliés en faisant adopter rapidement ses projets. Mais voilà! Le dicton bien de chez nous «Illi yahseb wahdou, youfdhollou» (traduction grossière : celui qui compte tout seul, fait des bénéfices) semble se confirmer: lors de la réunion de la commission d'organisation des pouvoirs, les élus ont rejeté les articles 5 et 8 du projet d'Ennahdha. Concernant l'article 5 relatif à la majorité nécessaire pour adopter la constitution, 9 ont voté pour tandis que 13 se sont prononcés contre. Pour l'article 8, relatif aux pouvoirs législatifs du Premier ministre, 9 ont voté pour, 12 contre et 1 abstention. Cela veut dire que le parti Ettakattol et le CPR ont été fidèles à leurs principes et à leur détermination à rester vigilants à tout ce qui serait contraire aux principes démocratiques et à l'indépendance des pouvoirs. Les élus qui ont voté contre le projet ont-ils obéi aux ordres de leurs partis ou ont-ils agi en leur âme et conscience ? En fait, cela importe peu et ne peut que réjouir les démocrates. L'essentiel est que les principes démocratiques ont été respectés et que les intérêts du peuple tunisien ont été pris en compte. Il est alors permis de rêver : et si les élus ne suivaient les choix de leurs partis que lorsque l'intérêt de la nation est en jeu ? En d'autres termes : et si ces élus oubliaient les partis pour n'agir qu'en responsables fidèles au vote qui les a installés à la Constituante ?