Par Soufiane BEN FARHAT Les débats à l'Assemblée constituante traînent en longueur. Quatre jours pour débattre de sept articles d'un projet d'organisation provisoire des pouvoirs publics qui en contient vingt-quatre. Et puis ces navrants automatismes. Chaque fois, on passe au vote à main levée. Et chaque fois, la majorité est majorée et la minorité minorée. Cela frise le réflexe conditionné. Deux remarques s'imposent. En premier lieu, l'âpre discussion du projet d'organisation provisoire des pouvoirs publics est, dans une large mesure, superflue. On aurait très bien pu s'inspirer du décret-loi n° 14 du 23 mars 2011 portant organisation provisoire des pouvoirs publics. S'en inspirer, le remanier, lui adjoindre quelques dynamismes et automatismes, aurait mieux servi la cause. Pour les partisans invétérés des partis concernés au premier degré, c'est hors de question. On les comprend. Au lendemain des élections du 23 octobre 2011, les chapelles sont on ne peut plus manifestes. Après avoir été longuement confinées dans l'opposition, certaines tendances et mouvances passent aux commandes. Elles passent au pouvoir en d'autres termes. Et elles veulent exercer ce pouvoir tant convoité. C'est légitime. Mais ce n'est guère sans risques et périls. Pour les connaisseurs, le pouvoir est toujours une épreuve. Son exercice n'est point innocent. Il est lourd de significations. Se retrouver au centre du pouvoir équivaut à changer l'échelle de la représentation. A preuve, dès qu'il a été élu président de l'Assemblée constituante, M. Mustapha Ben Jaâfar a dit que le terme opposition n'a plus de signification à l'Assemblée. Affirmation vigoureusement et promptement contestée par une opposition d'autant plus effective à l'Assemblée que M. Ben Jaâfar en fait le décompte des voix plus d'une dizaine de fois par jour. Donc les partis politiques — ceux qui ont remporté les élections en premier— ont décidé de régner en gouvernant. Pas question de jouer les comparses. Et hors de question de déléguer des prérogatives tant désirées. D'où ces interminables débats. En commission, les vainqueurs se sont taillé des articles à la mesure de leurs ambitions. Il en résulte un perpétuel télescopage avec l'opposition. Celle-ci voudrait faire valoir la seule règle de droit là où les autres veulent l'outiller des moyens de leur politique. Ces derniers estiment qu'exercer le pouvoir, c'est être titulaire d'un mandat. Et que tout mandat, pour être efficient, doit avoir des prérogatives claires. Une certaine dialectique tordue du domaine réservé et du domaine assigné empreint en filigrane les travaux de l'Assemblée constituante. Raison pour laquelle les partis et leurs représentants s'étripent sur chaque virgule ou presque du texte en débat. La seconde remarque a trait à la vocation de l'Assemblée constituante. En effet, par essence, une Constituante a pour mission de concevoir et élaborer une Constitution. Jusqu'ici, rien ne filtre à ce propos. Et les citoyens, blasés, ont l'impression qu'une Constituante ça équivaut à se chamailler indéfiniment sur le partage des dignités gouvernementales et des fauteuils ministériels. Mauvais signal pour l'opinion. On aurait pu en faire l'économie. D'autant plus que les urgences pèsent lourdement. Les conditions de vie empirent, le chômage progresse, les prix augmentent vertigineusement, les pénuries se succèdent. Les gens n'arrivent pas à assimiler le sens des querelles partisanes en présence de telles urgences. Il y a risque de frapper de discrédit, et d'emblée, les Constituants et la Constituante. Dans son intervention hier après-midi, le député Abdelwahab Maatar (CPR) en a fait état. Dans la sociologie des icônes et des repoussoirs en phases révolutionnaires et de transition, l'amour et la haine procèdent d'étranges alchimies. Les gens sont autant prompts à aimer, voire adorer, qu'à détester ou haïr. Et les dynamiques de groupe n'échappent pas à ces ésotérismes affectifs. Bref, l'Assemblée constituante s'offre en spectacle et ne laisse pas indifférent. Jusqu'ici, son potentiel initial de préjugé favorable s'entame au fil des discussions byzantines et des prises de bec répétitives. Enième épisode d'échanges à boulets rouges dans l'hémicycle. Certes, cela procède de dynamiques universelles, ou presque. Mais, l'opinion ne le perçoit toujours pas ainsi. Et l'échelle de la perception importe le plus au bout du compte.