Entre les sit-in sociaux et les sit-in politiques, le cœur des Tunisiens balance. Après la révolution, il n'est plus question pour quiconque de renoncer à un seul de ses droits qu'il soit social ou politique. Et pour se faire entendre et parvenir à recouvrer ses droits, le mode d'expression préféré de tous est devenu le sit-in. Pour certains, c'est là un signe de bonne santé de la société qui s'est, enfin, réveillée d'un état comateux de longue durée; pour d'autres, c'est le seul moyen de faire pression sur les élus de l'ANC car l'avenir politique du pays se dessine aujourd'hui et il faut rester vigilant. Mais que penser des sit-in qui bloquent les accès aux grands complexes industriels et autres entreprises publiques et privées mettant en danger l'avenir économique de la Tunisie? Les experts parlent d'un PIB alarmant pour 2011 : 50 milliards de dollars au lieu de 100 voire 150 milliards de dollars et la présidente de l'Utica met en garde contre une paralysie des entreprises économiques. Tout le monde est conscient que le pays est, dans les deux domaines, social et politique, en panne ou presque. Le gouverneur de la Banque centrale de Tunisie a tiré la sonnette d'alarme pour prévenir les Tunisiens d'une faillite économique annoncée et la société civile « siège » au Bardo, aux portes de l'hémicycle abritant l'ANC, pour prévenir des risques d'un retour à la dictature. Face à cette situation tout à fait nouvelle pour le Tunisien, et malgré toutes les craintes, la tendance générale est à la résistance : il n'y a pas de place aux concessions pour favoriser un domaine par rapport à l'autre. Si l'économique est vital et que de sa bonne santé dépend l'avenir du pays y compris politique, ce dernier — entendre l'avenir politique — ne supportera aucun report car c'est aujourd'hui qu'il est en train de se dessiner, de se creuser. Ce pourquoi, beaucoup de Tunisiens vivent et évoquent cette période douloureuse, difficile, préoccupante, avec beaucoup d'optimisme. Ainsi, bien que conscient de l'inéluctabilité des deux situations de crise sus-citées, le commun des Tunisiens ne semble pas près non plus de céder son droit à la parole, aux revendications de ses droits sociaux et à l'expression de son opinion sur les affaires publiques, droit difficilement acquis et désormais non négociable. Les sit-in sociaux se suivent donc et se succèdent sans interruption du nord au sud du pays, faisant penser parfois à une manipulation dont le but n'est autre que de faire pression sur le politique. Dans le cas échéant, il conviendrait de dire que si les revendications sociales sont indiscutablement légitimes, elles ne pourront pas être concrétisées tant que l'économie nationale est gangrénée et tant que le travail dans les usines, dans les chantiers et les entreprises, sera rythmé par les sit-in sociaux. Ces revendications devront donc attendre des jours meilleurs. Par contre, les revendications politiques sont imminentes, car c'est aujourd'hui que l'avenir politique de la Tunisie est en train d'être construit. Ce qui fait peser toute la responsabilité du succès ou de l'échec de cette étape sur les épaules des politiques pour que ces sit-in sociaux ne se tranforment pas en armes de destruction massive de l'économie tunisienne et des conditions sociales des Tunisiens. Cette reponsabilité se résume en deux mots : entente et consensus entre les sensibilités politiques au sein de l'ANC, entre l'équipe dirigeante et les autres. Car l'heure est à la construction des assises de la nouvelle République, c'est-à-dire les constantes du projet démocratique autour desquelles toutes les formations politiques étaient rassemblées avant les élections de 23 octobre dernier. Dans le cas où les élus n'arriveront pas à s'entendre, dans un court délai, sur toutes les questions en suspens, le pire est à craindre. Le consensus est aujourd'hui la seule sortie de secours pour que l'ANC puisse réaliser le projet pour lequel elle est là. La recette est «simple» : donner la priorité à l'intérêt général du pays loin de tout calcul partisan et admettre que l'ANC est avant tout chargée d'élaborer une constitution, le plan d'architecture du nouveau projet de société bâti sur les règles démocratiques et les normes de respect de la justice et l'équité sociales.