Par Mohsen KALBOUSSI* L'Isie est une structure administrative créée pour organiser les élections de l'Assemblée Nationale Constituante (ANC). C'est la première fois en Tunisie que des élections sont organisées par des structures indépendantes de l'administration et des partis politiques. Le travail de l'Isie a été couronné par le succès des élections organisées, où tous les participants et observateurs ont reconnu la crédibilité des résultats. Après l'élection de l'ANC, ses différentes composantes se sont entendues sur le principe de maintenir l'Isie, afin d'organiser les prochaines élections au niveau national (municipales, parlementaires et éventuellement présidentielles). D'autres types d'élections pourraient voir le jour, comme celles des Conseils régionaux de développement, si des structures pareilles pourraient voir le jour. Rétrospective Les différentes structures ayant fait partie de l'Isie sont l'Instance centrale, à Tunis, les Instances régionales, dans les différentes circonscriptions électorales et les Unités locales, au niveau des délégations. Les instances régionales ont assuré l'essentiel du travail de préparation des élections au niveau régional, alors que les unités locales, créées tardivement, ont joué un rôle essentiel dans la désignation des membres des bureaux de vote, notamment dans les centres de vote où les instances régionales n'ont pas reçu de candidature. L'essentiel du travail des instances, à tous les échelons, était concentré sur l'inscription des électeurs, le contrôle de la campagne électorale et la désignation des membres des bureaux de vote. Dans le travail accompli, nous soulevons les points suivants. Toute opération électorale a été précédée par un effort de formation (inscription, contrôle de la campagne électorale, membres des bureaux de vote, dépouillement et annonce des résultats). L'inscription des électeurs, selon un modèle inédit dans le pays, a permis à plus de la moitié des électeurs potentiels de s'inscrire, et si ce n'est certaines conditions et contraintes (été, Ramadan), le nombre d'inscrits aurait pu être bien plus élevé. Même si nous n'avions pas de précédents dans le contrôle des campagnes des listes candidates, et malgré le flou juridique relatif à certaines questions et le nombre élevé de listes candidates, les contrôleurs des campagnes ont fourni un effort considérable, et les Instances ont assuré un contrôle strict des campagnes des différentes listes. Hormis quelques cas de dépassements, les différentes listes se sont astreintes à respecter les normes et règles fixées par l'Isie. La formation des membres des bureaux de vote a harmonisé les procédures du vote et celles qui leur sont associées (tri, dépouillement et annonce des résultats par bureau). La présence des observateurs, nationaux et internationaux, ainsi que les représentants des listes candidates, a permis de certifier la transparence et la crédibilité des résultats. Enfin, fait important, l'obligation du passage par l'isoloir a conforté le citoyen dans l'importance de sa voix et l'assurance que celle-ci sera prise en compte. Faiblesses des instances Parmi les points faibles à relever dans le fonctionnement des instances (notamment régionales), nous évoquons les points suivants : Leur lancement sans préparation de leurs membres à la complexité des tâches auxquelles ils devraient s'attendre. La non-définition de la mission des différents membres et les limites de leurs prérogatives. Ceci a eu pour conséquence des chevauchements dans les missions des différents membres et parfois même des tiraillements qui ont eu un impact négatif sur le rendement global de l'instance. Les instances ont été construites selon un modèle horizontal, nécessitant la concertation entre leurs membres et l'harmonisation de leurs fonctions. Cette forme de travail, quoique très démocratique, n'a pas toujours bien fonctionné, surtout que beaucoup de membres ont essayé de les faire fonctionner en imposant une hiérarchisation de leur fonctionnement (stratégie de service public ou de «pouvoir». En fait, elles ont cumulé les dysfonctionnements des associations et des syndicats). Le manque d'expérience de nombreux membres s'est traduit par des difficultés de fonctionnement ou de travail collaboratif. En effet, il est bien notoire que les instances n'ont pas fonctionné avec la totalité de leurs potentialités. Nombreux membres ont «décroché», suite à l'accroissement de la pression et du rythme de travail, notamment pendant la dernière phase précédant les élections. Le fonctionnement de l'administration n'a été rodé qu'après un moment du lancement des instances, surtout que nombreuses parmi ces dernières manquaient de cadres administratifs et/ou financiers. Le manque de suivi de certaines missions, et surtout d'évaluation de chacune des phases assurées par l'instance, rend leur mémoire courte et ne permet pas de s'arrêter sur les difficultés afin de les dépasser par la suite. Devenir de l'Instance Pour assurer un meilleur fonctionnement des instances, les propositions suivantes nous semblent judicieuses. La mise en place d'une administration électorale présidée par un juge, eu égard au fait que les instances présidées par des juges ont bien fonctionné, et vu que ces derniers ont manifesté un haut degré de responsabilité et d'indépendance. Le maintien en fonction des membres compétents des anciennes instances, à qui il serait utile d'assurer une formation permettant d'étoffer leur expérience et de renforcer leurs acquis. Le développement d'un centre d'études au sein de l'instance centrale, qui assure la synthèse des données cumulées et oriente le fonctionnement des instances régionales, notamment dans l'inscription des électeurs. La mise en place d'un centre de formation disposant d'un minimum d'autonomie qui assure la formation des formateurs et la production de matériel pédagogique et de guides pour assurer une meilleure formation des différents intervenants et un bon fonctionnement des différents processus électoraux. Le développement d'une structure de relations internationales au sein de l'instance centrale, permettant de développer des relations avec des pays en transition démocratique, notamment dans le monde arabe et en Afrique, et permettant d'«exporter» l'expérience tunisienne en matière de gestion et d'organisation des élections. Il va sans dire que la réussite du processus électoral nécessite l'implication de la société civile et le pouvoir politique, et le renforcement des compétences de la société civile en matière d'observation des élections. La formation des cadres associatifs peut en partie être réalisée par l'instance, au moins par la production de guides qui leur sont destinés, afin que leur intervention soit plus efficace, mais surtout plus crédible.