Par Soufiane Ben Farhat Les préalables politiques étant assurés, place à la Constitution. En fait, la question est posée, mérite d'être posée: quelle est la principale vocation de l'Assemblée constituante ? La réponse est évidente: élaborer une Constitution. Mais en politique, l'évidence n'est pas toujours reconnue comme telle. A preuve, plus de deux mois après les élections de l'Assemblée constituante, l'élaboration de la nouvelle Constitution n'est pas encore la priorité des priorités. Jusqu'ici, on s'est chamaillé ferme sur la loi portant organisation provisoire des pouvoirs publics. Il s'agissait de donner des contours légaux aux domaines réservés des uns, les domaines assignés des autres et les rapports de force politiques. Tant au sein de la coalition au pouvoir que vis-à-vis de l'opposition, les choses ont été minutieusement conçues. Au scalpel. Puis on a «meublé» les charges et dignités ainsi conçues via des figures politiques. Non sans quelque clientélisme politique fondé sur les seules allégeances partisanes ou même des considérations familiales. Ainsi en fut-il des présidences de la République, de l'Assemblée et du gouvernement, ainsi que de la composition gouvernementale. Pour maints observateurs, la nouveauté n'excluait guère qu'on s'emmêle un peu les pinceaux sur ce chapitre précis. Après tout, en Tunisie ici et maintenant, la démocratie est une affaire d'apprentissage. L'essentiel est de ne point s'y attarder indéfiniment, et encore moins de sombrer. Une fois la loi de finances et le budget de l'Etat pour l'année 2012 adoptés, la donne a changé. Aujourd'hui, plus que jamais, l'urgence constitutionnelle gagne à être rappelée au bon vieux souvenir des politiciens. En fait, l'on ne saurait concevoir la démocratie sans Constitution. Les expériences diffèrent, la donne fondamentale demeure. Les Français sont ainsi passés maîtres dans la création des constitutions. Près de quinze lois fondamentales depuis celle du 3 septembre 1791 établissant la monarchie constitutionnelle. Les Français n'ont en vérité jamais sacralisé leur Loi fondamentale. Contrairement aux Américains. Ces derniers vivent toujours sur la base de leur unique Constitution de 1787. De leur côté, les Britanniques remontent volontiers à la Magna Carta du 15 juin 1215 et à l'habeas corpus de 1679. Chez nous, les deux constitutions de 1861 et de 1959 ont été mises à mal par le despotisme. La première fut suspendue par le bey en 1864 à l'occasion de la révolte d'Ali Ben Ghedhahem, qui avait embrasé tout le pays. La seconde avait été amendée huit fois sous le règne de Bourguiba et huit fois sous le règne de Ben Ali. Elle avait fini par devenir une coquille vide, tout au plus une armure pour tyran. L'une des premières mesures de la Révolution du 14 janvier 2011 fut de suspendre cette Constitution et d'exiger l'élection d'une Assemblée constituante. Et nous revoilà toujours à la case départ en quelque sorte. Une année ou presque après la Révolution. D'où l'impérieuse nécessité de se mettre à la tâche au plus pressé. L'Assemblée constituante, il va sans dire, devra régir la Cité. En attendant la nouvelle Constitution et ses émanations représentatives, juridiques et politiques. Mais cela ne devra aucunement se faire au grand dam de la Constitution. L'Assemblée est souveraine. Il lui appartient de s'organiser, fixer des dates et des deadlines, déléguer des tâches, mettre sur pied un groupe d'experts, etc. Mais, dans tous les cas de figure, l'Assemblée constituante devra s'assumer dans l'optique de l'obligation de résultat. Point de temporisation inutile ou d'incurie envisageable à ce propos. L'existence même des institutions de la République tunisienne en dépend. La pérennité de la République et de ses valeurs aussi. La balle est dans le camp du président de la Constituante. Il devra s'empresser de fixer l'ordre du jour du vrai débat constitutionnel. Tâche d'autant plus aisée dès le premier jet qu'une cinquantaine de projets de constitution sont déjà sur la table de travail du président de la Constituante. Parfois, les tares proviennent des mauvais plis attrapés au gré des mauvaises habitudes. La paresse et la nonchalance ont bon dos. Aujourd'hui, ici et maintenant, la tâche urgente consiste à s'atteler à l'élaboration de la nouvelle Constitution. Vivement.