Par Abdelhamid GMATI Les nominations à la tête des médias publics, annoncées samedi dernier par un communiqué du Premier ministère, ont déclenché un tollé qui n'est pas près de s'éteindre. Journalistes, partis politiques, représentants de la société civile ont bruyamment exprimé leur désaccord par des manifestations et des déclarations dénonciatrices. Que ces dénonciations proviennent des gens du métier, de partis d'opposition et des défenseurs des droits de l'Homme sont en quelque sorte naturelles face à des pratiques s'apparentant à celles du régime dictatorial. Mais ce qui étonne c'est que deux des partis formant le triumvirat qui nous gouverne rejettent ces nominations et exigent que «le gouvernement révise ces décisions». Qu'est à dire ? Le CPR et Ettakattol, partie prenante dans ce gouvernement, n'étaient-ils pas au courant ? Ennahdha ferait-il cavalier seul ? Il nous semblait, pourtant, que cette coalition fonctionnait en symbiose; en tout cas, à la Constituante, les trois partis imposent leurs choix, malgré les objections et les contre-propositions de l'opposition. Au point que certains n'hésitent pas à parler de «nouvelle dictature». Alors ? Ennahdha trahirait-elle ses partenaires ? Ou est-ce que ces partis se désolidarisent d'une décision impopulaire et rejetée par tous ? Ils déclarent avoir été surpris par ces nominations. Une rumeur qui a circulé dimanche, prétendait aussi que le Premier ministre n'était pas non plus au courant de ces décisions. Le ministre porte-parole du gouvernement a lui aussi déclaré ne pas être au fait. Alors qui a décidé ? Le communiqué diffusé par le Premier ministère portait quelle signature ? Ce cafouillage est inquiétant et révélateur d'un certain malaise consécutif à une alliance «bizarre» entre trois partis aux orientations et idéologies différentes pour ne pas dire opposées. Et cela se manifeste ailleurs. Ainsi, durant les dix derniers jours, notre pays a accueilli les ministres des Affaires étrangères français, italien et allemand, venus apporter leur soutien et leur aide et exprimer leur solidarité au peuple tunisien. Le ministre allemand a eu, tour à tour, des entretiens avec le président de la République, le Premier ministre, le président de l'Assemblée constituante, son homologue tunisien et a participé à une réunion avec l'Utica. Des entretiens suivis à chaque fois par une séance de questions avec les journalistes. Une sorte de marathon qui ne lui a pas beaucoup laissé le temps de souffler. Idem avec les autres visiteurs. D'aucuns pourraient dire que cette façon de faire, pour le moins inhabituelle dans le monde diplomatique, visait à honorer ces hôtes et à leur exprimer la sympathie des dirigeants et responsables tunisiens. Mais on pourrait aussi dire que cela délivre un message négatif, celui d'un pays à plusieurs voix, à plusieurs responsables, à plusieurs sons de cloche. Avec qui traiter ? Généralement, les ministres sont reçus par leurs homologues et à la rigueur par le chef du gouvernement. Mais rarement par le chef de l'Etat et encore plus rarement par le président du Parlement. Que peuvent penser ces hôtes, obligés de s'entretenir des mêmes choses avec plusieurs interlocuteurs alors qu'ils souhaitent un vis-à-vis crédible dûment mandaté pour prendre des décisions et des engagements sérieux? La Tunisie aurait-elle un pouvoir à trois têtes ? Les membres du triumvirat ne se font-ils pas confiance ? Ou s'agit-il pour chaque dirigeant de se mettre en valeur et de s'accorder de l'importance ? Dans tous les cas, l'image est déplorable. Passe encore que chacun veuille avoir son mot à dire en recevant, chacun de son côté, les responsables des organisations nationales (syndicats, patronat et autres). Que nos nouveaux dirigeants veuillent se singulariser, ne pas faire comme leurs prédécesseurs, mettre un burnous ou se laisser pousser la barbe, peut nous faire sourire, à l'interne. A mettre sur le compte du folklore. Mais sur le plan des relations extérieures, il est indispensable de se mettre au diapason des règles diplomatiques en usage dans le monde entier. Il y va de la crédibilité de notre pays. Et ces nouveaux dirigeants ne représentent pas leur personne mais tout un peuple qui veut être respecté et veut gagner la confiance et la considération des autres. A ce rythme, ce ménage à trois où chacun veut jouer sa propre partition va finir par nous plonger dans la cacophonie.