L'espace est ouvert, il se présente sous la forme d'un couloir avec le public de part et d'autre. Des écrans sont disposés des deux côtés du couloir, créant deux espaces virtuels. L'espace de jeu est délimité d'une part par une porte et de l'autre par la carcasse d'une voiture placée à la verticale comme une sorte de totem païen. L'espace temps est précis : le 7 novembre 2010, et une parade se prépare pour célébrer l'évènement. Une famille s'apprête à la grande sotie... Une télé diffuse un film d'Ettore Scola sur le fascisme, une mère s'active pour cette journée «exceptionnelle». Dans ce même immeuble, à un autre étage, un journaliste vit comme un poisson rouge enfermé dans son bocal et qui tourne en rond en regardant le monde extérieur. Ailleurs, une jeune fille vit seule avec son ordinateur. D'emblée les références sont claires, on est en plein remake du film Une journée particulière, un film qui retrace les évènements d'une seule journée dans un appartement et la rencontre entre une femme au foyer et un journaliste alors que la ville entière célèbre «la dictature». L'espace fractionné en quatre lieux de jeu nous présente les personnages de cette pièce, la femme, l'intellectuel et la jeune militante. Ces trois personnages, qui se rencontrent dans une œuvre à la fois réaliste et virtuelle, nous proposent une parabole d'une révolution en marche depuis la première étincelle et les jours qui ont suivi. Les partis pris de la mise en scène et de la dramaturgie ne nous placent pas dans la narration des faits mais plutôt relatent en bribes des jets d'émotions, des situations éparses entre le monde réel et le virtuel. Entre l'activisme de la blogosphère et la rue représentée par la bande de jeunes perchés en haut du totem, qui escaladent les murs et qui squattent l'épave d'une voiture brûlée. Des quatre sous-espaces qui représentent chacun un univers à part, propre à chaque personnage, on se retrouve dans un espace unifié, celui du couloir principal de la scène qu'on pourrait associer à la rue, la trajectoire, le parcours dans lequel se rejoignent tous les protagonistes de la pièce et, par ricochet, de la révolution tunisienne, la femme au foyer qui n'a jamais quitté son cocon familial, l'écrivain en hibernation avec ses tas de livres vivant entre la poussière et les toiles d'araignée, la cyber-militante, et les jeunes des bas-fonds, marginalisés et laissés pour compte. «Facebook», conception, dramaturgie et mise en scène de Raja Ben Ammar, est une création dont le langage utilisé est un langage corporel par excellence, les mots viennent pour créer un pont entre les personnages, mais les chorégraphies sont là pour ramener sur cet espace de création (à savoir le théâtre) la portée réaliste et en même temps ô combien poétique du soulèvement du peuple tunisien. Avec «Facebook», le théâtre Phou a réussi à intérioriser les évènements vécus depuis une année déjà, la journée du 14 janvier 2011, et celles qui ont suivi, pour que cette création arrive à exprimer avec un langage artistique une page de notre histoire sans tomber dans le sensationnalisme, les slogans et les grands discours pompeux. C'est avec ce traitement en chorégraphie, jeu, vidéo, univers sonore, sculptures et installation et jeu d'ombres et de lumières qu'on a réussi à monter une fresque qui saura parler autrement qu'avec les mots de la révolution de notre peuple.