Sur les plages abandonnées, coquillages et crustacées, Kélibia accueille l'automne et son festival, le Fifak, qui, exceptionnellement, révolution oblige, se tient au mois de septembre. Sur les écrans du théâtre de plein air de la maison de la culture, en cette 4e journée, les poubelles et les déchets sont représentés en force dans les films. Le cinéma amateur aime bien la marginalité, la précarité et les sujets pas trop galvaudés. Le public, toujours nombreux, assiste avec assiduité aux projections qui se terminent souvent très tard le soir. En cette soirée de mardi, la séance a démarré avec les films d'école. Ce sont des films de fin d'études où les apprentis-cinéastes tentent de montrer le meilleur de ce qu'ils ont appris au cours de leurs années d'études. Généralement, les films d'école privilégient la forme au fond, autrement, dit l'aspect esthétique et technique au détriment du sujet qui n'est souvent qu'un prétexte. Comment créer un univers imaginaire, voire onirique, en utilisant le langage cinématographique approprié ? Telle est la question à laquelle les étudiants doivent répondre, avec audace de préférence. Au cours de cette séance, il nous a été donné de voir trois fictions : Identités de Mohamed Kosantini (Isamm), Wazghaman de Mohamed Oussaifi (Esac) et La Luna de Rym Nakhli (Isamm). Bien que de niveaux différents, ces films sont d'une certaine sophistication tant au niveau de la structure du scénario que des procédés techniques employés. Si bien que certains d'entre eux perdent de vue la narration. Le spectateur a du mal à saisir le sens du propos. Ce qui donne parfois des films impersonnels, sans identité propre. Prenons le cas du film Identités, où il s'agit de l'usurpation de l'identité d'un homme mort, on a du mal à comprendre, à la fin du film, lorsque le protagoniste revient sur les lieux du crime, s'il veut se débarrasser du corps de la victime ou s'il tente d'ouvrir la valise diplomatique qui, vraisemblablement, contient de l'argent ou des documents précieux. On ne sait pas non plus qui motive l'acte du personnage. Le film cultive une ambiguïté due a un manque de maîtrise de l'écriture cinématographique. Pour ce qui est Wazghaman, le film se présente comme une comédie, où la part de fantaisie voulue transgresse le propos et l'éloigne du sens recherché. Le jeune homme, qui ne veut pas grandir et s'amuse à se déguiser pour faire des incartades le soir dans les rues de la ville, n'a pas de référent et n'obéit à aucune logique cinématographique. N'est pas Spiederman qui veut. Spiederman a une histoire et une identité littéraire dont ne dispose pas Wazghaman qui n'est qu'une lubie du moment. Par contre, le film qui sort du lot, La Luna prend comme point de départ une réalité : un drame vécu par un cinéaste dont le scénario est rejeté par la commission d'aide à la production. La réalisatrice a imaginé un univers presque onirique non dénué d'humour, avec un référentiel cinématographique étudié, où elle fait des clins d'œil à des séquences mythiques. La déambulation du personnage dans des espaces fermés et semi-obscurs renforce l'idée d'étouffement ou d'étranglement à laquelle la réalisatrice veut faire allusion. Rym Nakhli dispose d'une sensibilité et d'un univers cinématographique qui feront d'elle un jour une grande cinéaste. Toutes les poubelles du monde Concernant la compétition nationale, quatre films ont été présentés, parmi lesquels se distinguent Mémoire d'un vieux, documentaire de Jilani Khedher et Ameur Guiloufi de la Ftca, club El Hamma, et Infrastructure de Zied Letayem cinéaste indépendant. Le premier film fait parler des témoins de la libération de la Tunisie en 1956. Simple et soigné, l'opus fait appel, outre les témoignages de vieux résistants dont certains sont invalides, à des images d'archives, à un chant et une musique adaptés aux propos, des ralentis, des surimpressions, des gros plans significatifs qui dégagent des émotions. Un hommage sincère à ces combattants qui ont libéré le pays, mais sont tombés dans l'oubli. En écho à ce film, Infrastructure met en scène la Tunisie d'aujourd'hui : la médina tombée en ruine, ses murs fissurés, délabrés, abandonnés à son propre sort et les grands ouvrages comme le pont de Saint Gobin pour lequel ont été détruites des habitations pour sa construction. On est dans le non-dit où l'image exprime plus qu'elle ne montre. Un bon film. Côté compétition internationale, huit films entre fiction, documentaire et animation donnent à voir la misère humaine. Sit-in Kasbah 2 dans In the road de Adnan Meddeb (quelle manie de faire des titres en anglais). Des clandestins sur le départ vers d'autres destinations dans Vers une nouvelle vie du Marocain Abdellatif Amajgag. La lutte d'un père et de son fils contre la dureté du climat dans Bicycle du Turc Sherhat Karaaslan, film muet où les bruitages rythment les mouvements des personnages perdus dans des espaces neigeux et hostiles. Quel film. L'autre film turc Camean don't body was home de Berrak Colak est une œuvre expérimentale qui, à l'opposé du premier, met en scène la bombance d'un anniversaire haut en couleur. Pour finir dans la déchéance humaine et les poubelles avec un doc mauritanien El kouleb mihnat bahth fi el-koumama de Med Yahia Weld Hamoud. Un témoignage effrayant d'un enfant qui gagne sa vie en fouillant les poubelles mais qui garde espoir en l'avenir.