Le 17 janvier 2011, dans des circonstances obscures, mourait Hatem Mouaffak, commissaire général de police, à quelques kilomètres de chez lui... Un an après, le mystère autour de sa mort commence à peine à se dissiper. Voici l'histoire d'un licencié d'histoire, diplômé de Saint-Cyr et du FBI (Federal Bureau of Investigation) qui a une toute autre conception de l'ordre et de la sécurité que celle de Ben Ali...et qui n'en est pas sorti indemne, ni avant ni après le 14 janvier... Nous avons reconstitué son portrait et sa disparition à partir des témoignages de sa famille, ses amis, ses collègues et certains témoins de sa mort dans le but de jeter quelque lumière sur ce qui s'est passé les jours qui ont suivi le 14 janvier. Un des martyrs de la révolution, Hatem Mouaffak, fait partie de ceux que le corps de la police tunisienne a perdu dans le silence et l'indifférence. Car, contrairement à l'aura qui entoure tout martyr, la mort d'un policier n'a pas l'air d'émouvoir. Mais celle de Hatem Mouaffak émeut et intrigue à la fois. On est le 17 janvier, au cœur de la panique et la confusion des trois jours qui ont suivi le 14 janvier, quand ce haut gradé de la police succombait à une salve de tirs particulièrement acharnée et soutenue qui fait encore à ce jour l'objet d'une instruction devant le Tribunal militaire. Il était sur son chemin de retour à Gammarth où il habite, après une matinée de travail au ministère de l'Intérieur. Les témoins parmi les riverains et les ouvriers de la station-service théâtre de l'opération, rendent compte d'une scène insoutenable où, au passage de sa voiture, des cris affolés et des tirs ont fusé de partout. La voiture a sitôt pivoté, mais a continué à être la cible d'une rafale bien ordonnée. Au bout de quelques secondes, la voiture est mitraillée, criblée de partout, le plafond affaissé. A l'intérieur, le corps est transpercé d'une balle dans la tête et deux dans le dos, au niveau du cœur... Dans la précipitation, les tueurs enfouissent le corps dans le coffre et disposent à côté de lui quelques armes blanches et paquets de barbituriques confisqués aux milices à l'œuvre ces jours-là... Auditionnés par le tribunal militaire, ils ne tardent pas à avouer une chose au moins : que les armes blanches et les barbituriques n'appartiennent pas à la victime. En août dernier, le juge d'instruction du Tribunal militaire a privilégié la thèse de la bavure... Il semblait alors que la victime était juste au mauvais moment, au mauvais endroit. Conclusion que la famille du défunt réfuta. Et, en raison des nombreux éléments démontrant l'acharnement sur la victime et l'intention de l'achever, le juge d'instruction vient, il y a à peine deux semaines, de conclure à l'hypothèse de l'homicide volontaire. « Ce policier-là n'est pas des nôtres! » Aux yeux de son épouse et ses deux enfants, un pas prodigieux vient d'être franchi: le martyr est réhabilité. Même si des interrogations restent à ce jour posées, le dossier d'instruction ouvert et d'autres témoins entendus en attendant que le tribunal siège enfin sur l'affaire Mouaffak. Retour sur les faits. Le 14 janvier, quand la foule a commencé à vouloir s'introduire dans les locaux du ministère de l'Intérieur, Hatem Mouaffak, commissaire général de la police, première classe, végétant au frigo du ministère de l'Intérieur depuis plusieurs années et fragilisé par la maladie, est évacué avec d'autres cadres et responsables de la sécurité. Des armes individuelles leur sont octroyées, dans le but de se défendre en cas de danger. Mais il sera le seul à refuser l'arme et à ne pas signer le document d'octroi. Pour en éviter le spectacle à ses enfants, jamais auparavant et en trente ans de service, le commissaire général n'a pris d'arme chez lui. En dépit des dangers, il rejoint son bureau samedi 15 janvier, avec la grande ambition de trouver les moyens de faire face à la dérive sécuritaire que traverse alors le pays. Mais, comme beaucoup d'autres responsables, il reçoit juste l'instruction de rester chez lui. Ce qu'il fait le week-end avant de se lancer dehors, lundi. « Les choses ont changé. Les traîtres sont partis, il est grand temps de travailler, de faire quelque chose pour le pays!...» est la dernière réplique que son épouse entendra de lui... Cette impatience à reprendre le travail, Hatem Mouaffak la tient des années d'écart et de frustrations. Licencié d'histoire en 1979, puis diplômé de Saint-Cyr et du Federal Bureau of Investigation, la police fédérale américaine FBI (le seul en Afrique), il occupera plusieurs postes et plusieurs fonctions dans les différentes régions du pays avant d'être nommé directeur de l'école de la police de Salammbôo. Plusieurs promotions de commissaires de police se souviennent de ses cours passionnés et se vantent aujourd'hui d'avoir fait « l'école Mouaffak ». Mais cette ascension qui devait le mener aux plus hautes fonctions s'arrête net quand il est promu directeur de la sécurité intérieure, sous le commandement direct de Ali Sériati alors directeur général de la sécurité. L'entente ne sera jamais parfaite entre les deux hommes. De part son bagage et sa conception de la sécurité, le commissaire général Hatem Mouaffak a toujours dit non au rôle des militaires dans l'institution sécuritaire. Objectivement et arguments techniques et scientifiques à l'appui, il s'est toujours inscrit ouvertement contre «le mélange des genres» qui, selon lui, ne sert ni l'une ni l'autre des deux institutions. Pour lui, chaque corps a sa prérogative propre et sa mission à honorer. Mais cette séparation si évidente dans les démocraties n'est pas entendue de la bonne oreille au palais où il fut décrété par Ben Ali, Leila et les Trabelsi que «ce policier-là n'est pas des nôtres !» Le commissaire général est aussitôt rangé dans la case des persona non grata, harcelé, privé de ses avantages et sanctionné jusqu'à sa mort soudaine et inattendue le 17 janvier dernier...