(AP) — L'Inde et le Pakistan se livrent une guerre d'influence en Afghanistan, usant d'aide humanitaire, d'agents secrets et de manœuvres diplomatiques. New Delhi redoute par-dessus tout un retour au pouvoir des talibans, qu'Islamabad ne verrait pas d'un si mauvais œil. Les deux puissances nucléaires, qui se sont combattues trois fois au cours des sept dernières décennies, tentent de peser de tout leur poids en Afghanistan, qui fait depuis longtemps l'objet de toutes les convoitises régionales. L'Inde aimerait ainsi s'assurer de nouvelles routes commerciales et un accès aux vastes réserves d'énergie d'Asie centrale, mais aussi contrarier les ambitions de son voisin qui rêve de devenir une superpuissance. Le Pakistan a lui aussi besoin des ressources énergétiques mais surtout, il considère l'Afghanistan comme son allié naturel: il partage avec lui une longue frontière, des liens ethniques étroits et deux populations ayant une écrasante majorité musulmane. En outre, le Pakistan craint de se retrouver pris en sandwich entre l'Inde d'un côté et un Afghanistan pro-indien de l'autre. «Nous ne pouvons pas nous permettre d'avoir un gouvernement hostile en Afghanistan», résume Mohammad Sadiq, l'ambassadeur pakistanais à Kaboul. Première arme employée par les deux pays rivaux: l'aide humanitaire. New Delhi a dépensé plus de 1,3 milliard de dollars (un milliard d'euros) pour construire des routes dans les déserts de l'ouest afghan, alimenter Kaboul en électricité, bâtir le nouveau Parlement ou encore dispenser des soins médicaux gratuits dans des dispensaires répartis à travers tout le pays. De son côté, Islamabad a versé environ 350 millions de dollars (260 millions d'euros) pour toute une série de programmes allant des manuels scolaires aux autobus. New Delhi garde de mauvais souvenirs du régime des talibans, au pouvoir à Kaboul de 1996 à 2001. Après l'intervention internationale qui a provoqué leur chute, l'Inde est devenue un allié proche du Président afghan Hamid Karzaï. Ce dernier, qui a fait ses études en Inde, y est arrivé lundi pour une visite destinée à renforcer les liens bilatéraux. Du temps des talibans, les insurgés pakistanais anti-indiens s'entraînaient dans des camps en Afghanistan. Même après 2001, l'agence du renseignement pakistanais, l'ISI (Intelligence inter-services), a maintenu ses liens avec les talibans, au cas où ils reviendraient au pouvoir. C'est ce que redoute le plus New Delhi. «Nous voulons la stabilisation de l'Afghanistan parce qu'elle est directement liée à notre sécurité. C'est aussi simple que ça», souligne Jayant Prasad, l'ambassadeur indien à Kaboul. L'Inde a payé un lourd tribut pour son implication en Afghanistan. Deux bombes ont visé son ambassade, en 2008 et en 2009, faisant 75 morts. New Delhi impute ses attentats à des terroristes alliés à l'ISI. Des insurgés ont tué six Indiens qui construisaient en Afghanistan une route financée par New Delhi. Des attaques ont aussi ciblé deux hôtels de Kaboul fréquentés par des Indiens; la dernière, en février, a tué six Indiens. New Delhi accuse le groupe Lashkar-e-Taiba, basé au Pakistan et pointé du doigt pour les attentats de Mumbai en 2008, d'être derrière cette attaque. Les services secrets indiens sont aussi largement présents en Afghanistan. Parmi les victimes de l'attaque contre un hôtel de Kaboul en février figure un agent de la RAW (Aile d'analyse et de recherche), le renseignement extérieur indien, selon un haut responsable afghan ayant requis l'anonymat. Islamabad accuse pour sa part les agents de la RAW de soutenir les séparatistes de la province pakistanaise du Balouchistan, ce que New Delhi dément. Des diplomates occidentaux pensent que le renseignement indien est en contact avec les séparatistes, mais ne leur fournit pas forcément de soutien logistique. L'Inde en tout cas conserve ses relations nouées de longue date avec les chefs de guerre afghans, notamment les anciens leaders de l'Alliance du Nord. Pendant des années, elle a fourni nourriture, informations et soins médicaux aux hommes du commandant Massoud, qui ont aidé en 2001 les troupes internationales à déloger les talibans. Les tensions indo-pakistanaises en Afghanistan risquent de s'exacerber avec le retrait des troupes américaines annoncé pour l'année prochaine. New Delhi craint qu'un départ prématuré ne permette aux talibans de regagner du pouvoir. Elle est d'autant plus inquiète que certains responsables afghans et américains ont évoqué la possibilité d'accueillir certains talibans au sein du gouvernement. L'Inde a prévenu qu'elle pourrait former une «coalition d'intérêts» avec la Russie, l'Iran et d'autres pays d'Asie centrale opposés à un retour des talibans au pouvoir.